Collage
Exposition
The Unsecret Life of Samantha.C
Auteur·e·s de la fiche: 

Le processus de création à l’origine de l’œuvre The Unsecret Life of Samantha.C commence lorsque la plasticienne tunisienne Hela Lamine choisit « au hasard une personne sur Facebook qui […] offrait […] sans le savoir, une partie de ses données numériques qu’elle désignait de publiques sur le réseau. »

À partir des informations récoltées pendant une période d’un an et demi, principalement des commentaires et des photographies, l'artiste produira des collages, des montages, qui seront la matière principale d'une exposition et d'un ouvrage. Ce livre, d’un caractère très hybride, se compose d’une introduction bilingue anglais français écrite par Lamine, suivi d’un texte en français d’Aïcha Filali accompagné de commentaires Facebook récupérés sur la page de Samantha. Suit un texte en arabe de Slimen El Kamel et, finalement, un texte de Anne-Marie Butler intitulée 11 comments, poèmes faits de ce qu’elle appelle des «digital scraps.»

Dans ses collages, Lamine examine la vie de Samantha, mais imagine aussi ce que celle-ci pourrait être et devenir, spécule sur un quotidien banal et pourtant énigmatique qu'elle décline plastiquement presque à l'infini. Ces fabulations visuelles très colorées, ultimement, seront confrontées à la réalité : avant l'exposition, Lamine prend l'initiative de contacter Samantha et de lui présenter le projet dont elle est le centre. Ce dialogue lui-même est intégré au processus, toujours en cours d'évolution, de The Unsecret Life of Samantha.C.

Relation au projet: 

The Unsecret Life of Samantha.C est l’archive intermédiale et protéiforme du quotidien d'un individu, qui se décline à la fois sous forme d’exposition, de performance et de livre d’art. L’œuvre s’évertue donc à épuiser les formes possibles que peut prendre le projet d’exploration et d’exploitation des données personnelles.

Comme l’explique son autrice, Héla Lamine, il s’agit d’abord une exposition muséale, puis d’«un livre se situant entre le catalogue d’exposition, le roman graphique et le livre d’artiste […], ce dernier étant pensé et traité comme pièce à part entière de l’exposition.»

C’est également la question de l’auctorialité, voire de l’unicité de la figure auctoriale, que met à l’épreuve le projet: en plus des supports et des médias, se mélangent aussi plusieurs types de discours et de voix puisque les poèmes, le contenu visuel et critique se chevauchent et sont tous portés, finalement, par divers intervenants qui eux aussi couplent leur voix pour parler de cette énigmatique Samantha. De l’aveu de Lamine, il est crucial que ce projet soit «un travail collaboratif entre plusieurs intervenants. Cet ouvrage», dit-elle, «ne doit pas être un simple contenant indépendant du contenu, c’est d’ailleurs en sa globalité qu’il revêt tout son sens.» L’esthétique du collage répond à une approche collective de la création très proche du numérique, esthétique qui, toujours selon Lamine, «consiste à réunir ou associer des éléments qui étaient au départ détachés et les mettre en cohabitation afin d’y faire émerger un sens.»

Il ne faut donc pas concevoir l’ouvrage comme un ensemble de micro-récits étanches les uns aux autres mais comme un macro-récit mosaïque. Ses brèches participent de la déstabilisation du lecteur dans son geste interprétatif, elles rendent laborieuse et labyrinthique sa progression. La narration, toujours brisée, favorise l’émergence d’une pluralité d’avenues interprétatives et dédaigne l’idée d’un parcours linéaire, chronologique et exhaustif, soit un parcours qui ne rendrait pas justice à celui effectué par Lamine sur la page de Samantha.

Alors que les réseaux sociaux s’organisent en une antéchronologie « stable », un présent à rebours, le travail de l’artiste défait cet ordre et instaure un autre rapport, à un autre présent : celui de l’exégèse. Ainsi, plusieurs temporalités se chevauchent dans l’archive de Lamine : celle des publications initiales et celle de l’œuvre en cours, qui ne cesse d’être repensée, toujours réinscrite dans un éternel présent de la réinterprétation et de la remédiation.

Discours / Notes: 

1,49 milliard de profils Facebook mensuels actifs dans le monde.

4,75 milliards de contenus partagés chaque jour.

350 millions de  photos ajoutées chaque jour.

4,5 milliards de Likes distribués chaque jour.

«The unsecret life of Samantha.C» ou “La vie non– cachée de Samantha.C”

«The unsecret life of Samantha.C» est un projet visuel composé d’un peu plus de cent œuvres graphiques de formats et de techniques variés et d’un livre se situant entre le catalogue d’exposition, le roman graphique et le livre d’artiste (travail collaboratif entre cinq intervenants), ce dernier étant pensé et traité comme pièce à part entière de l’exposition (lien pour consulter le livre : http://pdf.lu/b879/).

 

«The unsecret life of Samantha.C» est l’intitulé de cette exposition personnelle où j’ai commencé par choisir au hasard une personne sur Facebook qui nous offrait, généreusement et sans le savoir, une partie de ses données numériques qu’elle désignait de publiques sur le réseau.

Durant un an et demi, j’ai pu accéder  à une quantité importante d’informations de tout genre : statuts, publications, commentaires, photos, identifications, informations GPS, like… Je voulais certes avoir plus de données, et connaître surtout ce qui m’était caché, ce qui était considéré par Samantha.C comme «privé» et qu’elle refusait de montrer. Etait-il plus intime que ce que je voyais déjà ? Au fil des mois j’avais pourtant l’impression de bien la connaître : je connaissais ses hobbies, ses amis intimes, les membres de sa famille, le nom de son chien, l’endroit où elle travaillait, le moment où elle a commencé à sortir avec son petit copain, celui où ils ont rompu, celui où elle a arrêté de fumer….

Je résistais tout de même à l’envie de lui envoyer une demande d’ami, car je tenais à ne travailler que sur ses « données publiques », ce qu’elle a choisi de dévoiler aux autres.

Mon intention était de dresser  son portrait «visuel » subjectif certes,  car imaginé et composé à partir des informations visuelles que j’ai pu collecter, archiver et réinterpréter à chaque fois dans une proposition graphique différente… et ce, jusqu’au mois d’avril 2014 où Samantha.C décida de restreindre la confidentialité de ses publications, jusqu’à m’en priver définitivement au mois d’août 2015.

Je disposais néanmoins de 333 photographies « prises par Samantha.C» que j’avais eu le temps d’enregistrer, et qui étaient réparties sur 34 mois : de janvier 2012 jusqu’en août 2015.

Je me demandais alors, à travers cette petite expérience d’ «espionnage», si nous sommes réellement conscients du degré d’intimité des données que nous classons publiques et que nous n’hésitons pas à partager avec le reste du monde. Que sommes-nous devenus avec  les réseaux sociaux ? Quelle « image » renvoyons-nous à l’autre ? Pouvons-nous manipuler l’autre en contrôlant le flux d’informations que nous décidons de partager avec lui ?

Cette nouvelle identité «visuelle» que j’ai donc fabriquée, témoigne selon moi d’un «échange» entre deux profils virtuels «absents», dans une sorte de «voyeurisme artistique». De cette interaction est née une nouvelle entité physique, palpable (sous forme de dessin, collage, peinture, photographie rehaussée…), qui est la trame même du personnage présenté à son tour au public et ce, lors de l’exposition et à travers le livre, et qui reste ouverte elle aussi à l’échange et à l’interprétation.

J’ai choisi dans un premier temps de  dresser le  portrait  de Samantha.C en me concentrant essentiellement sur les photographies prises sur son profil Facebook, indépendamment de leur chronologie, leur sujet, et des commentaires et titres qui leur sont rattachés.

Dans une seconde étape, j’ai détaché un à un les individus présents sur la photographie de leur contexte d’origine, dans l’idée de composer de nouvelles scènes, voire même de recréer en quelque sorte de nouveaux souvenirs que je placerai dans un gigantesque album photo : celui de l’espace de la galerie. J’étais en fait, fascinée par les procédés combinatoires que ce soit dans le domaine de l’art ou de la poésie, tel un collage qui consiste à réunir ou associer des éléments qui étaient au départ détachés et les mettre en cohabitation afin d’y faire émerger un sens. Toujours obsédée par cette envie de créer par la narration et la figuration différentes possibilités  de lectures et d’interprétations.

Sur les photos, que ce soit pour un selfie, ou pour une photo prise par un ami, on peut y constater quasiment la même attitude de celui qui est photographié à savoir : regarder  l’objectif, afficher un sourire, prendre la pose… Ce qui reviendrait à se «fabriquer» comme le dit si bien R.Barthes «instantanément un  autre corps». C’est comme si l’on basculait de l’identité propre à celle qu’on aimerait avoir et pouvoir en garder trace à jamais.

Facebook aide en effet à alimenter cette idée de permanence des données personnelles : ces clichés, une fois publiés sur le réseau, vivront sans doute bien après leurs propriétaires, puisque Facebook nous propose aujourd’hui de faire vivre et alimenter notre profil après notre mort en désignant un contact légataire.

Samantha.C a été prévenue, trois semaines avant le vernissage, que sa vie «non cachée» sur Facebook a fait l’objet d’une exposition.