Habitude est une rétrospective de l’œuvre de l’artiste canadienne Liz Magor. Présentée au MAC (Musée d’art contemporain de Montréal) en 2016 selon un parcours plus thématique que chronologique, la scénographie de l’exposition rend hommage à la démarche conceptuelle de Magor. Sur une période de quarante ans, l’artiste amalgame de manière hétéroclite un ensemble de matériaux aux coprésences insolites et dont la concomitance donne à voir des sculptures séduisantes faites de rebuts qui rappellent par leur agencement leur homophone, le rébus.
Stack of trays, Carton I et Carton II, pour ne citer que ces exemples, sont composés d’objets trouvés, de gommes à mâcher, de cigarettes entamées, de vêtements usés et de bouteilles vides. Ce que d’aucuns considèrent comme des ordures, Liz Magor le récupère pour en dévier l’usage et la fonction. La forme du rébus, quant à elle, est mise à profit pour composer des charades d’objets. L’aspect parcellaire et combinatoire renvoie le spectateur au travail de la mémoire qui réorganise continuellement ses matériaux en les réinvestissant et en les réinterprétant–un sens que prend d’ailleurs le terme de rébus lorsque réemployé par Freud pour parler du travail du rêve (1899).
L’œuvre Bird Nest Kits, une série de boîtes contenant les matériaux nécessaires à la fabrication de nids d’oiseaux, peut apparaître comme un commentaire autoréflexif sur la démarche de Magor, pour qui la pratique artistique est une forme de nidation lors de laquelle sont adjoints, dans un désordre apparent mais habilement orchestré, une masse hétéroclite de détritus aux airs à la fois étranges et familiers.
Dans cette exposition, Magor oscille entre variations et continuités thématiques et plastiques, répliquant à l’envi des objets sériels pour éveiller en nous des questions qui relèvent de l’intrication entre identité et identique. Cette reprise constante de la sérialité n’a pas rien à voir avec l’idée d’un épuisement, celui que provoque l’incessante répétition. Mais la répétition à l’œuvre au sein d’Habitude n’est qu’un écho de celle qui permet d’alimenter les chaînes de production manufacturant les objets qu’elle utilise dans ses installations – mégots de cigarettes, tissus élimés, déchets issus des modes de productions spécifiques à notre société de consommation.
Le collectionneur et ses réflexes peuvent aisément se retrouver dans ces agencements compulsifs et ces tentatives d’ordonnancement de ce qui, d’ordinaire, participe justement de l’ordre du déclassé, de ce qui a déchu et appartient désormais à une classe inférieure, faute d’usage. Mais ce statut est en partie annulé par Magor, qui élève ces objets collectés aux rangs d’œuvres par lesquelles sont archivés nos habitudes. Les vieilles couvertures reprisées de Violator, ou encore les journaux qui ont servi à fabriquer les briques de Production, montrent bien comment l’objet nouveau est bâti ou transformé à partir de son obsolescence même, et pointe vers un présent disparu mais recréé comme objet muséal, muséifié.
Si ces objets du quotidien sont des déchets, ce sont aussi des reliques, des traces résiduelles d’une culture qui les abandonne, qui indiquent un passage en même temps qu’une absence de ce qui est passé. Cette tension entre un temps humain effréné et un temps géologique qui succède à l’abandon traverse la majorité des œuvres. Magor convoque aussi, grâce à cette dichotomie, un rapport au temps placé sous le signe de la nostalgie et de la mémoire, tendu vers une antériorité qui serait inscrite en creux dans ses traces résiduelles. Figés dans un présent éternel, les objets du quotidien deviennent les signes d'un passé dont Magor fournit l'archéologie en épuisant leurs devenirs possibles.
Liz Magor compte parmi les artistes canadiens les plus influents de sa génération. Ce survol non chronologique, le plus ambitieux jamais présenté, s’attache aux sculptures et aux installations des quarante dernières années.
L’exposition fait ressortir l’envergure thématique et émotionnelle de la pratique de l’artiste. Du contexte mental et physique de la consommation de masse aux espaces du musée et jusqu’aux univers intérieurs de la dépendance et du désir, l’œuvre de Magor a constamment allié un haut degré de rigueur conceptuelle et opératoire à une recherche fouillée sur les matériaux. La présentation alterne les échelles, passant de dispositifs monumentaux et éclatés, d’une part, à l’intime et au personnel, de l’autre. Cela met en évidence la nature richement stratifiée de la pratique de Magor—extraordinaire dans sa capacité à fondre en un tout de multiples références aux cultures de l’étalage, de la consommation et de la compulsion, démontrant que cette richesse visuelle et émotionnelle est une des raisons pour lesquelles elle est une artiste conceptuelle des plus étonnantes.
Il y a une tension, dans le travail de Magor, entre les préoccupations classiques de l’art minimal—travail en série, emploi de matériaux non traditionnels et de formes abstraites, tout en creusant les notions de répétition, de variation et de similitude—et son vocabulaire visuel, qu’elle élargit aux idées de différence, d’identité sociale et de contexte psychologique.
Liz Magor. Habitude est placée sous le commissariat de Lesley Johnstone, chef des expositions et de l’éducation au Musée d’art contemporain de Montréal, et de l’historien de l’art Dan Adler. Cette exposition résulte d’une collaboration entre le MAC, le Migros Museum für Gegenwartskunst, Zurich, et le Kunstverein in Hamburg.