En 2015, l’artiste Michael Mandiberg décide de faire de Wikipédia une encyclopédie papier. Avec l’aide de la Wikipédia Foundation et de son assistant Jonathan Kirinathan, il lui fallut 24 jours pour télécharger le contenu de la version anglaise de Wikipédia. Mandiberg décide de juste aspirer le texte, que ce soit celui des articles de l’encyclopédie ou de la partie « talk » sur laquelle les contributeurs de Wikipédia échangent avant et pendant la rédaction des articles, mais il exclut les images et les autres media présents sur le site. 7 473 volumes de 700 pages chacun ont découlé du travail de Mandiberg. Ils sont tous accessibles sur le site de l’œuvre et disponibles en impression à la demande. L’artiste a également publié 36 volumes constitués des pseudonymes des 7,5 millions de contributeurs à l’encyclopédie. 106 des volumes ont été imprimés et exposés à l’été 2015 à la galerie Denny de New York. Selon Mandiberg, l’important n’était pas d’imprimer tous les volumes, mais de pouvoir imaginer le nombre de volumes que Wikipédia représentait. En imprimer qu’un certain nombre, tout en disant le nombre de volumes entiers que l’encyclopédie représentait, permettrait, selon l’artiste, au cerveau des spectateurs de visualiser la grosseur de Wikipédia.
Cette pièce de Mandiberg est dans la continuité d’un certain nombre de ces travaux s’interrogent, a la suite de Duchamp et des artistes de la critique institutionnelle, sur les gestes de déplacement minimum permettant en art la création du sens. Qu’est-ce que cela change de passer l’encyclopédie en ligne en format papier? En quoi cela questionne nos pratiques du savoir et d’écriture à l’heure du numérique?
Comme un certain nombre d’autres projets artistiques, l’œuvre de Mandiberg s’inscrit dans une tentative de mesurer une somme de données à l’heure du Big Data. Tentative de circonscrire un corpus de données qui ne peut toujours être temporaire, car se trouvant déjà dépassé au moment même de son achèvement. Le Big Data, tout comme Internet ou Wikipédia est dans une expansion continue.
Un certain nombre de ces tentatives de circonscrire des données passent par leur remédiation sous la forme de livre. Le livre ou la page imprimée deviennent alors comme une sorte d’étalon nous permettant de prendre conscience de la quantité de données. Parler en nombre de pages ou de livres permettrait à l’esprit humain d’avoir une représentation concrète comme Mandiberg le dit lui-même, il a fait son projet pour savoir « How big was Wikipedia », comme si savoir le poids en octets ne suffisait pas et qu’il fallait toujours revenir à la page papier pour qu’on puisse visualiser et imaginer.
Le projet est aussi une tentative d’épuisement du spectateur.trice qui ne peut que survoler l’ensemble de ces données sans jamais pouvoir avoir un regard attentif sur chacune des pages. Wikipédia comme hyperobjet nous englobe plus que nous l’englobons.
«Print Wikipedia (2009–16) is a both a utilitarian visualization of the largest accumulation of human knowledge to date—the Wikipedia database—and a poetic gesture toward the challenges of knowing in the age of big data. To create the piece, I wrote software that transforms Wikipedia’s entire English-language database into 7,473 volumes of 700 pages each and then uploads them for print-on-demand. It draws attention to the sheer size of the encyclopedia’s content and the impossibility of rendering Wikipedia as a material object in fixed form: by the time a volume is printed, it is already out of date. » Statement de l'artiste.