Project for Tachistoscope est une œuvre qui se propose d'expérimenter la juxtaposition rapide d'un flux continu de mots et d'images. Grâce à ce procédé très simple, William Poundstone crée une œuvre proche de la poésie concrète, à travers laquelle il critique l’usage des images subliminales dans la publicité, inauguré par James Vicary et Coca-Cola en 1957. La poésie concrète et les images subliminales ont été inventées à peu près à la même époque. Il crée ainsi une poésie aporistique qui touche avant tout à l'inconscient de l'internaute.
Project for Tachistoscope [Bottomless Pit] propose une page de démarrage colorée, au centre de laquelle s'affiche la commande «Start». Quand l'internaute passe le curseur sur le cercle, sept icônes apparaissent, chacune offrant un accès à des pages d'explications et de renseignements sur la démarche artistique de William Poundstone. On retrouve: System requirement, The subliminal con, Colophon, Aporia, Concrete poetry and Subliminal advertising, Falling into the void, Subliminals via the www.
L'œuvre est une adaptation numérique du tachistoscope, cette machine crée en 1859 qui produit des flashs à vitesse variable, très utilisée pour tester la reconnaissance d'images. Oublié pendant un temps, le tachistoscope trouve un regain d'intérêt pendant la guerre froide, et ainsi que l'écrit Katherine Hayles il symbolise : «The technological embodiment of covert intentions that could hijack conscious thought against its will.» (Hayle, 2008: 139) Ce sont les virtualités de ce dispositif que Project for Tachistoscope [Bottomless Pit] contribue à épuiser.
L'œuvre débute dès le bouton start pressé en bombardant l'internaute d'images et de mots (un seul à la fois), défilants simultanément à vitesse rapide et incontrolable qui produit une impression de saturation voisine de l'exhausivité. La succession d'images à caractère quasi subliminal est accompagnée d'une ambiance sonore, elle aussi hypnotique et minimaliste. L'œuvre nécessite d'être visionnée plusieurs fois pour que chaque mot puisse être lu, et que la narration soit déchiffrée : elle exige de nous que nous procédions à son épuisement, tout en étant elle-même "épuisante" pour celui qui s'y confronte. En effet, il est difficile de relier les mots aux icônes qui les entourent même si celles-ci pourraient être regroupées sous la thématique du capitalisme et de ses objets de consommation.
La trame narrative est entrecoupée par l'apparition subliminale de mots comme «Heidelberg», «Chinatown», «Chomsky», «Kuwait» et parfois même des phrases complètes dont la lecture est impossible. L'histoire décrit l'apparition d'un abysse sans fond près de la ville de Carbondale, au beau milieu d'un chantier de construction d'autoroute. L'abysse engouffre plusieurs engins de travaux ainsi que quelques ouvriers. Sa profondeur ne peut être mesurée, les géologistes sont face a un mystère. L'aspect métaphorique du contenu est alors frappant: le gouffre, comme l'image subliminale, représente ce dont on ne peut faire qu'une expérience partielle. Le gouffre n'a pas de profondeur mesurable, l'image subliminale n'appartient qu'a l'inconscient et n'est, en réalité, jamais entièrement vue. Comme l'écrit Katherine Hayles: «The Abyss signifies that which cannot be tamed, refuses to be known, and resists co-optation into the world of conscious human intention.» (Ibid.: 142)
Toute la difficulté de la découverte de l'œuvre réside dans la tension omniprésente entre la nécessaire rapidité de lecture et l'apparition permanente d'images sans réel rapport avec le contenu. Cette difficulté d'appréhension inhérente à l'œuvre peut produire une certaine forme d'anxiété pour l'internaute dont la démarche ne peut qu'être un échec: une aporie. Images et mots se parasitent jusqu'à l'abolition du sens dans une forme de brouhaha visuel.