En 2008, un groupe Facebook de citoyens américains se porte volontaire (dans le cadre d’un partenariat public-privé dont on ne nous donne pas les détails précis) afin de monitorer la frontière mexicaine grâce à un ensemble de caméras CCTV en direct : l’objectif était de contrer l’entrée illégale d’immigrants au pays. Basée sur la délation, la communauté RedServant (le nom a été changé pour des raisons de confidentialité, nous apprend le site de l’artiste) a donné lieu à un grand nombre d’arrestations (5331), qui sont le fruit d’un travail gratuit fourni par des citoyens, et ce jusqu’en 2012, année lors de laquelle le projet aurait pris fin faute de financement.
L’œuvre de Joanna Moll, Virtual Watchers, est le résultat d’une observation des interactions entre les participants du projet, qui ont créé des groupes sur la plateforme Facebook à partir desquels ils communiquaient entre eux leurs expériences. Sous forme de mosaïque étourdissante, le site web de l’œuvre répertorie ces échanges tout en les anonymisant.
Extraites pour être présentées sous la forme d’archive-mosaïque, via laquelle nous pouvons accéder aux contenus originaux sous forme de captures d’écrans, les images et les conversations de Virtual Watchers «highlights to what extent the emotional investment and exchanges of these people work as an essential mechanism in the construction and legitimization of a post-panoptic system.»
La diffusion et le visionnement des images en temps réel par les surveillants originaux dit déjà avec éloquence le rapport qu’entretient l’œuvre de Moll avec la question du présent et de son archivage. Mais ce présent qu’archivent initialement les images visionnées par les membres du groupe RedServant est à la fois tout à fait monotone et extra-ordinaire : les usagers impliqués dans RedServant fixent des images sur lesquelles peu sinon rien ne se passe dans l’espoir de voir apparaître à l’écran des actions spectaculaires.
Au stade de matériau «brut», les publications de RedServant sont l'archivage d'un geste, celui de la scrutation, mais aussi l'archivage d'une communauté et de ses échanges. Moll propose donc moins une archive qu'elle ne suggère la restructuration d'une archive déjà instituée par d'autres et pour d'autres fins.
Cette remédiation des publications d’origine nous permet de les observer sous un angle plus critique, d’en épuiser les usages (artistique, anthropologique, politique). Le dispositif de l’œuvre renverse alors les rôles entre observateur et observé tels qu’ils sont distribués sur la plateforme originale, puisque ce sont les surveillants initiaux qui sont désormais épiés selon une perspective implicitement sociologique. Moll nous incite aussi à comprendre la sousveillance ou les dispositifs catoptiques autrement que comme des possibilités émancipatrices, puisqu’elles produisent parfois des discours et des initiatives réactionnaires. Sous ce jour, le titre de l’œuvre, «virtual watchers», ne renvoie plus uniquement qu’à la plateforme numérique qu’utilisent les membres de RedServant, ni au dispositif imaginé par Foucault (où c’est la possibilité d’être épié, la virtualité d’un espionnage qui produit des effets), mais attire aussi notre attention sur l’actualisation de certains usages inattendus des données, qui sont ici récupérées à des fins artistiques.
The Virtual Watchers is an on-going research project at the intersection of art, research and technology that questions the dynamics of crowdsourcing at contemporary State borders. It focuses on the exchanges that occurred within a Facebook group that gathered American volunteers ready to monitor US-Mexico border through an online platform that displayed live screenings of CCTV cameras. The declared aim of this operation was to bring American citizens to participate in reducing border crime and block the entrance of illegal immigration to the US by means of crowdsourcing. This initiative, a public-private partnership, was originally launched in 2008 and consisted of an online platform called RedServants [1] and a network of 200 cameras and sensors located in strategic areas along the US Mexico border. Some of these cameras were also installed in the private properties of volunteering citizens. The online platform gave free access to the camera broadcasts 24/7 and allowed users to report anonymously if they noticed any suspicious activity on the border. RedServants had 203.633 volunteer users since 2008, and resulted in 5331 interdictions, which overall represents almost 1 million hours of free labour for the authorities. The program stopped in 2012 due to lack of financial support, as announced in its official Facebook page in May 13th 2012.
This project offers an interactive window that allows the public to access some of the original video feeds recorded by the RedServant’s surveillance cameras, and dive into the conversations, jokes, and questionings of the Facebook group that gathered some of the volunteering citizens that actively used the platform [2] . By doing so, it highlights to what extent the emotional investment and exchanges of these people work as an essential mechanism in the construction and legitimization of a post-panoptic system.