Fil de soi 1 et 2 sont deux pièces mixtes pour guitare et électronique en temps réel composées par Alain Bonardi et interprétées par Amèlia Mazarico. Fil de soi 1 a été créée le 17 septembre 2016 et Fil de soi 2, le 12 avril 2018, à la MSH Paris Nord dans le cadre des projets de recherche du CICM (Centre de recherche Informatique et Création Musicale).
Dans Fil de soi, Alain Bonardi utilise le code Faust générique et universel comme moyen d'écriture. Grâce à ce programme, il a créé son propre objet composé, qu'il utilise dans ses deux pièces pour guitare, ainsi que dans sa pièce pour piano et électronique Pianotronics 3, et dont il cherche à épuiser le potentiel musical.
Cet objet, qu'il a codé lui-même, est exploité jusqu'à épuisement de son potentiel créatif. L’idée de construire un objet composé/codé en Faust vient aussi d’une volonté du compositeur de «revenir à des choses plus réduites», d’arrêter d’accumuler les modules, les objets.
D’après lui, «Faust est un bon exercice de réduction». Selon le compositeur, il est important de se réapproprier la culture du code qui est parfois opaque, notamment dans toutes les nouvelles technologies d’intelligence artificielle dont peu de personnes peuvent réellement avoir le contrôle. Utiliser Faust est un moyen d’appropriation d’un code ouvert et à disposition, afin de le rendre plus accessible, et d’y réintroduire l’humain.
Selon Bonardi, ce qu’il tente d’épuiser dans cette pièce est «l’ensemble des concepts musicaux incarnés dans [le] patch». Par exemple, «[l]’instrument en-dessous est le même dans les deux pièces mais utilisé tellement différemment qu’on n’entend pas du tout le même résultat sonore» (Alain Bonardi). Le patch de Fil de soi est composé de 16 lignes à retard (delay lines) dans lesquelles opèrent des variations de hauteur (pitchshiftings), envoyées dans une matrice qui connecte n’importe quelle ligne à retard à n’importe quelle autre. Il s’agit d’un réseau temporel de traitements décrits de façon objet. La guitariste joue une note, celle-ci est transformée dans une ligne à retard, puis le résultat de cette première transformation passe dans une autre ligne à retard, et ainsi de suite.
L'idée de composer deux pièces d'après le même processus compositionnel, le même objet de départ, embrasse parfaitement cette notion de tentative d'épuisement. Le rendu sonore de ces deux pièces est différent uniquement par les divers contrôles de valeurs de cet objet compositionnel développé sur Faust. «L’instrument peut paraître très figé mais il a un potentiel énorme car tout cela est polymorphe», ajoute par ailleurs Alain Bonardi.
Toutefois, d’après lui, le terme «épuisement» aurait une connotation négative, cela «indiquerait que quelque chose [est] en fin de vie». Bien qu’un patch puisse s’épuiser – dans le sens où il est possible de ne plus le comprendre quelques temps après la création d’une pièce, ou tout simplement s’il est fondé sur une technologie obsolète – le potentiel créatif du patch, lui, ne s’épuise jamais. Le compositeur emploierait plutôt le terme de «remobilisation», ou «ré-emploi», en ce que les anciens patchs et les anciens objets composés nourrissent les nouveaux travaux, et qu’il est possible de s’appuyer sur l’idée compositionnelle sous-jacente de ceux-ci pour recréer des patchs, pour procéder à de nouvelles opérations. Alain Bonardi parle de «rebondissements permanents». Ainsi, on pourrait parler d’enrichissement autant que d’épuisement : on crée des réalités à partir d’objets de code qui sont réutilisables.
Ainsi, le compositeur a tenté de remobiliser les ressources compositionnelles de son dsp (digital sound processing), c’est-à-dire de repenser l’utilisation de son instrument, en l'utilisant et le contrôlant de diverses manières, ainsi qu'en le faisant réagir différemment en fonction de l'écriture de la partie instrumentale, c'est-à-dire en fonction de ce que joue la guitariste. Son dsp, c'est-à-dire son moteur sonore, autrement dit son instrument, est devenu un objet formalisé avec lequel il écrit des pièces.
Quant à l'archive du présent, Alain Bonardi fournit un objet fini et réutilisable, dans une perspective de «composition orientée objet», pouvant donc être archivé au même titre qu'une partition instrumentale traditionnelle.
Note d’intention :
«Les deux pièces, écrites à un an d’intervalle, sont toutes deux inspirées par l’Inde, ses couleurs et ses sons et partagent le même instrumentarium électronique. Le fil de soie suggéré dans le titre évoque les tissus colorés indiens ; en perdant son "e" final, en devenant un “fil de soi", il renvoie à la fois à une idée de parcours introspectif dans le labyrinthe personnel de chacun –comme un fil d’Ariane, mais aussi à la musique mixte pour guitare et électronique en temps réel : les fils/cordes de la guitare reliés aux fils/câbles de l’électronique.»
Le traitement électronique, écrit en langage Faust, est commun aux deux compositions avec un ensemble de 16 lignes à retard et transpositeurs permettant toutes les réinjections possibles. Certaines lignes, non diffusées, entretiennent le son de la guitare pour l’envoyer ensuite vers des transpositions, des décalages rythmiques micro ou macro-temporels qui seront projetés vers les haut-parleurs. Dans les deux pièces, nous poursuivons une recherche de transformation en temps réel du timbre de la guitare, qui est la seule matière disponible (pas de sons pré-enregistrés) avec comme inspiration les sons du sitar indien.»