En 1965, alors qu’il était en train d’attendre son épouse, Roman Opalka a une idée qui orientera sa création durant quarante-six années. Sur des toiles de 196x135 cm, il s’épuisa à inscrire sans relâche la progression numérique. Les chiffres font environ 5 mm de haut, peints avec un pinceau taille 0. Il commença à peindre en blanc sur fond noir et à partir de 1972, il ajouta 1 % de blanc à chaque fond de nouvelles toiles. En 2008 arriva le moment où il finit logiquement par peindre en blanc sur blanc. Il appela cela le « blanc mérité ». Quand il ne pouvait être à son atelier, car il était en voyage ou malade, l’artiste continuait a travailler en inscrivant les chiffres sur des feuilles blanches A4 qu’il réunissait par la suite en carnets. Parallèlement à cela, Roman Opalka se prit en photo, toujours avec le même cadre et la même pause après chaque journée de travail. À partir de 1968 il commença également à enregistrer sa voix prononçant en polonais les chiffres qu’il était en train de peindre. L’œuvre de Roman Opalka se termina le 6 août 2011. Elle aura duré 46 ans, se compose de 231 toiles, de milliers d’autoportraits et d’heures d’enregistrement. Elle s’est conclue sur le chiffre 5 607 249.
L’œuvre d’Opalka manifeste un ensemble de différentes formes d’épuisement.
La première est celle d’une tentative d’épuisement des chiffres et du temps. Opalka qualifiait son travail comme un document sur le temps ainsi que sa définition. En effet, ses toiles nous font ressentir les traces du temps. L’œuvre matérialise, dans son fond et dans sa forme, le temps passé à sa réalisation et le temps virtuel que nous passons à la lecture/contemplation. Cette tentative d’épuisement est évidemment toujours vaine, l’infinité de la progression numérique et du temps nous dépassera toujours. Cela se manifeste dans l’épuisement du corps de l’artiste. Les photographies nous montrent son visage vieillir, ses traits se creuser, le temps faisant son travail et l’amenant vers sa fin inéluctable. Cet épuisement est également celui de sa voix annonçant inlassablement les chiffres qu’il est en train de peindre. Face à lui, l’objet toile s’épuise également, exposé à la répétition du même procédé. Les toiles de Opalka, peuvent d’ailleurs être vues, d’une certaine manière, comme la réalisation du désir cubiste de faire entrer la temporalité dans l’espace de toile.
«Programme de la démarche: OPALKA 1965/1-∞
Ma proposition fondamentale, programme de toute ma vie, se traduit dans un processus de travail enregistrant une progression qui est à la fois un document sur le temps et sa définition. Une seule date, 1965, celle à laquelle j’ai entrepris mon premier Détail.
Chaque Détail appartient à une totalité désignée par cette date, qui ouvre le signe de l’infini, et par le premier et le dernier nombre portés sur la toile. J’inscris la progression numérique élémentaire de 1 à l’infini sur des toiles de même dimensions, 196 sur 135 centimètres (hormis les "cartes de voyage"), à la main, au pinceau, en blanc, sur un fond recevant depuis 1972 chaque fois environ 1 % de blanc supplémentaire. Arrivera donc le moment où je peindrai en blanc sur blanc.
Depuis 2008, je peins en blanc sur fond blanc, c’est ce que j’appelle le "blanc mérité".
Après chaque séance de travail dans mon atelier, je prends la photographie de mon visage devant le Détail en cours.
Chaque Détail s’accompagne d’un enregistrement sur bande magnétique de ma voix prononçant les nombres pendant que je les inscris.»