Network Effect s’interroge sur les effets de l’Internet sur l’humanité; autant la manière dont l’Internet peut révéler un sentiment de communauté que sa capacité à influencer, pour le mieux ou pour le pire, la vie des individus et le devenir humain. Pour ce faire, Jonathan Harris et Greg Hochmuth ont créé un microcosme de l’Internet, soit une base de données colossale contenant 10 000 vidéos, 10 000 enregistrements vocaux, et autant de nouvelles, de tweets, de graphiques et de listes. Ce qu’ils recensent: 100 comportements humains canoniques, des actions communes à tous les êtres humains, peu importe l’âge, la situation géographique et les époques. Ce qu’ils proposent aux internautes: une navigation en temps limité dans ce vaste champ de données.
Le temps de navigation est imposé en fonction de l’espérance de vie moyenne du pays rattaché à l’adresse IP de l’ordinateur de l’internaute. Par exemple, au Canada, l’espérance de vie moyenne étant de 81,4 ans, l’internaute qui se connecte à l’œuvre du Canada a donc 8 minutes et 8 secondes de navigation, après quoi son accès est bloqué pour 24 heures. Comme l’indiquent les créateurs1, ce temps limité occasionne un sentiment d’urgence chez l’internaute, renversant la dynamique de recherche approfondie et sans limites inhérente à la base de données, mais émulant l’effet d’anxiété qui est une forte composante de l’Internet.
Un court texte de description2 sur fond noir accueille l’internaute, donnant le ton de l’œuvre. Dès que l’on clique sur «Start», le compteur est lancé, le son de battements de cœur ponctue le temps, et l’internaute, aux prises avec une surexposition informative, doit se familiariser avec le fonctionnement de l’œuvre tout en tentant d’en comprendre le contenu.
Les 100 comportements humains, allant de «Breathe» à «Shoot», sont classés par ordre alphabétique et s’étendent en banderole en haut de l’interface. En cliquant sur l’une de ces actions, des extraits vidéo pris sur YouTube ainsi que des extraits audio de personnes relatant des expériences y étant associées s’enchaînent, et des données s’affichent au bas de l’interface. De gauche à droite, on informe si cette action est plus fréquente chez les hommes ou chez les femmes, on recense son occurrence entre 1900 et 2008, on défile les dernières nouvelles contenant ce mot, on estime le nombre de personnes accomplissant l’action à ce moment précis, et on fait l'inventaire des extraits de Tweet traitant du comportement. L’internaute peut cliquer sur n’importe laquelle de ces données pour voir le graphique ou la liste exhaustive derrière le chiffre ou la citation. Il ou elle se retrouve alors dans l’arrière du décor de la base de données où figurent des définitions du mot, des marques associées, des raisons pour accomplir cette action, etc. C’est également l’endroit où l’internaute peut comparer les comportements entre eux au moyen des différentes catégories.
Les données proviennent de sources diverses sur Internet. Les créateurs ont eu recours, pour la majorité de la collecte de données, à des travailleurs et travailleuses provenant d'Amazon Mechanical Turk3. Pour les vidéos, ceux et celles-ci ont donc cherché des extraits vidéos sur YouTube représentant chaque comportement; pour les marques, Harris et Hochmuth ont demandé par sondage d'Amazon Mechanical Turk le nom de cinq marques que les gens associent à chacun des 100 comportements; et pour l'estimation du nombre de personnes accomplissant les actions, ils ont aussi créé un sondage. Les autres données, comme les enregistrements audio, les définitions et les raisons derrière les comportements, ont été amassées grâce à une API Twitter. Ils ont procédé de la même manière avec le Ngram Viewer de Google Books pour les données du genre, pour l'utilisation du mot de chaque comportement entre 1900 et 2008 ainsi que pour la liste de mots associés au comportement. Enfin, ils ont établi un système pour amasser les titres des nouvelles de Google News. Pour un résumé détaillé du processus des artistes et des outils utilisés, voir la section «CREDITS» de l'œuvre.
La base de données est une masse informe qui cherche à être sculptée par l’expérience de navigation de l’internaute. Elle sollicite la pulsion de connaissance chez l’être humain, mais peut aussi créer un sentiment de découragement. L’internaute est face à une pléthore d’éléments, face à une impossibilité de saisir tout ce que l’œuvre présente, face à un trop-plein. La limite de temps vient également exacerber la tentative d’épuisement de l’information et du sujet; ce qui reflète le devenir excessif de l'Internet. Les mouvements et les clics de la souris sur les vidéos clips de l’œuvre engendrent une distorsion de l’image. Plus les clics se font insistants, plus le mot «more» est multiplié à l’écran, simulant la quête de toujours plus d’information et de stimulations sur Internet.
L’internaute est interrompu dans sa lancée par le bruit d’un gong spirituel. À la fin du temps alloué de navigation, une citation de Carl Jung apparaît sur un fond de ciel ponctué de nuages: «Your vision will become clear only when you can look into your own heart. Who looks outside, dreams; who looks inside, awakes». Cette sortie poétique provoque un temps d’arrêt de la frénésie de la navigation et révèle le propos critique des artistes. Ces derniers ont tenté de représenter l’utilisation de la masse d’information à l’ère de l’Internet tout en cherchant à découvrir ses effets sur l’humanité. Leur position est quelque peu connotée quant au rapport de l’être humain avec Internet:
«[…] the project mirrors the experience of browsing the web — full of tantalizing potential, but ultimately empty of life. We do not go away happier, more nourished, and wiser, but ever more anxious, distracted, and numb. We hope to find ourselves, but instead we forget who we are, falling into an opium haze of addiction with every click and tap. […] We need time and space and silence to remember who we are, who we once were, and who we can become. There is a way, and every one of us contains the potential to find it.»
Harris et Hochmuth appellent à la déconnexion, à la réflexion loin du réseau, à l’introspection sans le selfie. Bref, ils incitent à sortir d’Internet pour trouver un rapport humain dans le réel. L’œuvre aborde des thèmes récurrents dans la pratique de Harris: la relation entre les humains et la technologie, les effets psychologiques de l’Internet sur les humains, l’exhaustivité de la base de données, celle-ci recensant souvent l’expérience ou l’émotion humaine. Network Effect réussit donc à représenter la relation entre les humains et la technologie sur deux plans: dans la forme, par la visualisation de données reliées à l’expérience humaine, et dans l’expérience de l’œuvre, l’internaute expérimentant empiriquement les effets d’une navigation excessive d’Internet.
Cette oeuvre s'inscrit comme une tentative d'épuisement, anthropologique, de nos comportements en ligne.
The Internet is said to show our common humanity. Through its data, it is said to provide a kind of omniscience, and through its social networks, a deeper sense of connection. For those without access, it holds the promise of a better life. For those of us who use it a lot, its power to affect our lives is clear — but what is the nature of that effect? How does it change our behavior? The way we see others? The way we see ourselves?