No Network est une œuvre de Julian Oliver, artiste et «ingénieur critique», explorant les manifestations poétiques et pragmatiques du détournement technologique. Sous la forme d’un modèle réduit de blindé britannique, No Network est un bloqueur d’ondes et de réseau de téléphonie mobile. En sa présence, à l’intérieur d’un diamètre de 6 à 15 mètres du char d’assaut, toute connectivité est impossible. Hors réseau, les visiteurs de la galerie – car l’œuvre a été présentée au Brighton Digital Festival en 2014 – se voient octroyer le droit à un rare moment d’indépendance et de liberté ou, à l’inverse, se voient expulsés de force, off the grid.
Le symbole du tank est d’ailleurs opportun. Oliver choisit de reproduire le célèbre Britain Chieftain, arme de guerre redoutable créée au sortant de la Deuxième Guerre mondiale et déployée pendant la guerre froide. Ici, l’emblème d’une guerre moderne se transpose en arsenal pour une cyber ou une hyperguerre, menée sur le terrain du numérique et du contrôle des données. En coupant tout accès à une connexion, l’artiste nous projette dans un avenir où les conflits armés sont substitués par des guerres d’informations et où l’effondrement du système informatique se pose comme une menace tangible à l’économie et, possiblement, à la paix sociale.
L’omniprésence du réseau est donc interrompue par l’œuvre. Et ce silence est interprété comme un danger par les autorités, selon ce que suggère la note d’avertissement qui succède à la description de l’œuvre:
NOTE: civilian use of mobile jamming telephony is illegal in most countries. The artist intends no use of this work outside the confines of a gallery setting, with audiences fully aware that proximity to it will result in them having no access to the network.
À bien des égards, cette note de l’artiste semble toutefois contrecarrer ou du moins limiter le potentiel perturbateur de l’œuvre. En effet, l’œuvre porte un message de résistance qui participe du mouvement de l’hacktivisme. En révélant l’ubiquité des technologies de la communication, il annonce du même coup la possibilité d’une opposition et d’une désobéissance à cette obligation d’être connectés. Pourtant, l’engagement de l’artiste à ne pas faire obstacle à la loi et à agir dans les lieux prédestinés à la critique, atténue la dénonciation que porte et qu’incarne l’œuvre. Qui mène cette cyberguerre? Ou plutôt, et c’est ce que révèle un bloqueur d’ondes construit hors des circuits de production traditionnels, qui peut mener cette cyberguerre? Dans cette optique, il est étonnant de ne pas offrir aux internautes la possibilité de reproduire le modèle réduit au moyen d’instructions et d’encourager une prise de contrôle technique et technologique des particuliers en regard de ce qui se présente comme un monopole coercitif. Suffit-il de suggérer ou d’insuffler l’indiscipline en démontrant la vulnérabilité du système? L’artiste préfère en ce sens mettre en vente cinq modèles réduits signés sur son site Web.
Dans le manifeste The Critical Engineering Manifesto, corédigé par Julian Oliver, Gordan Savicic et Danja Vasiliev, il est postulé que l’ubiquité technologique est à la fois un défi et une menace. Onze résolutions sont donc énumérées et adoptées pour contester une dépendance croissante et massive à l’ingénierie; en déstabilisant l’espace bien gardé entre la production et la consommation des technologies, en décrivant les interrelations entre les dispositifs, les corps et les réseaux ou en élargissant les usages du langage du code, par exemple. Les auteurs déclarent d’ailleurs, en contradiction avec la note d’avertissement citée plus haut, qu’ «il importe d'en analyser le fonctionnement interne indépendamment des droits de propriétés et dispositions légales». Mais, ce détournement, à l’instar de No Network, n’est pas revendiqué comme un acte hacktiviste ou militant. Le rôle de l’ingénieur critique est, après tout, «d’étudier et d’exploiter ce langage (du code) – de montrer son influence.»
Il est à noter que Julian Oliver est en train de produire deux nouveaux modèles, l’un d’eux bloquant les émissions des services GPS et l’autre obstruant les ondes des réseaux sans-fil (WiFi).
L'oeuvre, en bloquant les ondes du réseau cellulaire, démontre par réflexivité l'omniprésence du réseau cellulaire, brisant l'illusion d'exhaustivité et de pérénité de celui-ci.
With the flick of a switch No Network implements a blanket ban of mobile telephony in its presence. All access to the cellular (mobile) network within a 6-15m diameter aura around the object is jammed, including calls, SMS and data connectivity.