The Whale Hunt est un projet de récit photographique. En mai 2007, Jonathan Harris a passé neuf jours en compagnie d’une famille inuite à Barrow, en Alaska. Il a pris part au rituel de la chasse à la baleine, tel qu’il est pratiqué depuis des centaines d'années par les habitants de cette région. Durant l’ensemble de l’expérience, l’artiste a pris au moins une photographie toutes les cinq minutes, pour un total de 3214 images. L’oeuvre débute au moment où Jonathan Harris prend le taxi pour se rendre à l’aéroport, à New York, et se termine le neuvième jour, lorsqu’ils ont terminé de dépecer la deuxième baleine qu’ils ont tuée.
Pour consulter le dossier de presse de Jonathan Harris en ligne: http://www.number27.org/news.html#press (consulté le 13 avril 2010).
L'oeuvre propose une interface graphique qui permet de naviguer dans l’ensemble des photographies. Il s'agit d'un tracé qui figure la courbe d'un électrocardiogramme où les pointes représentent les moments les plus intenses de l'expérience, alors que l'artiste prenait davantage de photographies. Ainsi, les moments où il dort sont représentés à raison d’une photographie par tranche de cinq minutes, tandis que les moments où une baleine est tuée par les chasseurs sont documentés par davantage d'images. La forme prise par l'archive d'Harris constitue en elle-même un enregistrement qui puisse rendre compte du temps de l'expérience de documentation.
Ce qui fait la singularité de cette oeuvre, c’est la variété des points de vue qu’il est possible d’adopter pour naviguer dans celle-ci. En activant l’hyperlien «change constraints», l’internaute peut modifier divers paramètres afin de rétrécir le spectre des photographies qui seront comprises dans l’ordre chronologique du voyage. Ainsi, dans la contrainte «people», il peut sélectionner chacune des dix-sept personnes impliquées dans l’aventure, ou encore l’une des deux baleines qui ont été tuées, afin de visionner uniquement les photographies sur lesquelles ils ou elles apparaissent. Il est également possible de sélectionner plusieurs personnes à la fois.
Chaque fois, l’interface du site indiquera le nombre de photographies impliquées par les choix de l’internaute. La contrainte «concept» permet quant à elle une navigation thématique parmi les photographies. L’internaute peut sélectionner les thèmes «blood», «boats», «buildings», «food», «games», «kids», «moby dick», «paperwork», «prayer», «sleep», «timelapse», «tools», «vehicles», «whales» et «wildlife». Selon la même logique, la contrainte «context» permet de naviguer dans les différents lieux traversés par l’artiste lors de son séjour. Finalement, il est aussi possible de modifier la cadence de défilement des photographies. Il y a d’ailleurs là quelque chose d’assez fascinant: il est possible de visionner les photographies à raison d’une par cinq minutes, ce qui implique que le temps requis pour expérimenter l’entièreté de l’oeuvre dépasse les neuf jours de l’expédition, puisque certains moments intenses ont été documentés par plus d’une photographie par tranche de cinq minutes.
En plus du tracé de l’électrocardiogramme qui sert d’interface de navigation à l’oeuvre, il est possible d’afficher à l’écran une mosaïque construite à partir de l’ensemble des photographies. Deux autres variantes graphiques s’ajoutent à cela, soit la «timeline» et la «pinwheel», qui fonctionnent de façon semblable au tracé de l’électrocardiogramme, mais en se déclinant à partir d’une configuration plastique différente.
Avec la quantité d’images comprises dans le projet The Whale Hunt, nous comprenons sans peine que l’artiste ait dû réfléchir au dispositif qui permettrait la visualisation de son oeuvre. Le problème majeur était en effet de permettre l’affichage d’images en haute résolution, sans toutefois laisser les contraintes de téléchargement compromettre l’expérience de l’oeuvre. Ainsi, l’idée de la ligne du temps et des divers filtres s’avère efficace puisqu’elle permet de segmenter la totalité de l’oeuvre, ce qui rend possible un affichage rapide des photographies. Une telle configuration, par ailleurs, permet de réfléchir l'archivage du présent et la décomposition formelle de l'expérience. Par ses préoccupations techniques, on peut aussi argumenter que Jonathan Harris se préoccupe du présent dans sa dimension spectatorielle, puisque le dispositif doit favoriser un temps de téléchargement court, qui permette une navigation dynamique - telle que celle que recquiert sans doute la chasse à la baleine. Même si le projet d'Harris s'attarde à la conservation d'un présent en particulier (neufs jours de chasse à Barrow), le mode de constitution de l'archive qu'est The Whale Hunt en est un qui privilégie aussi le présent de la réception.
Les filtres permettent également une navigation plus souple et orientée dans l’oeuvre. En effet, bien qu’il soit envisageable de visualiser la totalité des 3214 photographies, la possibilité de choisir un point de vue particulier rend l’expérience de l’oeuvre moins rebutante. Les divers dispositifs de visualisation imaginés par l’artiste donnent à voir la complexité que revêt un récit: celui-ci est fait de plusieurs sous-histoires, de différentes perspectives, de différents rythmes et ambiances. La segmentation du récit The Whale Hunt proposée par Jonathan Harris permet de saisir de façon intuitive cette complexité, notamment grâce à la souplesse de l’affichage des contenus à l’écran. En plus du foisonnement impressionant des images, c'est dans cette multiplication rhizomatique des possibles de la narration que s'engage égalemment un rapport à la notion d'épuisement.
«In May 2007, I spent nine days living with a family of Inupiat Eskimos in Barrow, Alaska, the northernmost settlement in the United States. The first several days were spent in the village of Barrow, exploring ramshackle structures, buying gear, and otherwise helping the whaling crew to prepare for the hunt. We then traveled by snowmobile out onto the frozen Arctic Ocean, where we camped three miles from shore on thick pack ice, pitching our tents about ten feet from the open water. Boats were readied, harpoons prepared, whaling guns loaded, white tunics donned, a snow fence constructed, and then we sat silently in the -22 °F air, in constant daylight, waiting for whales to appear.»