Les Archives du Béluga est le projet élaboré sur le long cours et protéiforme par lequel se déploie la pratique artistique de Maryse Goudreau depuis 2012. Il s’agit d’une archive thématique sur l’histoire sociale du Béluga – ses mœurs, son mode de vie, mais aussi son inscription dans les nôtres, dans notre culture, notre patrimoine et notre quotidien.
Ce travail se décline en un grand nombre de manifestations variées, dont l'étendue dépasse les limites de cette liste non-exhaustive.
Mise au monde / Carrying one est un essai vidéographique de 23 minutes créé par l’artiste en 2017. Le documentaire examine la relation entre humains et bélugas d’un point de vue anthropologique et selon une trame narrative qui va de la naissance à la mort. Il a été présenté au Festival PHOS en 2018.
Un livre d’artiste, Histoire sociale du beluga, a également vu le jour en 2016. Il est composé d’un ensemble de citations sur le béluga extraites de discours formulés par des ministres et des députés à l'Assemblée législative du Québec entre 1929 à 2015, que l’artiste lie pour former une pièce de théâtre.
Pour ceux qui ne les voient pas / For those who do not see them (Service de l’intégration des arts à l’architecture, 2016) est une série de sculptures de marbre réalisées à partir de photo-identifications de bélugas étudiés par une équipe de chercheurs actifs sur le fleuve Saint-Laurent. Elles représentent des dorsales de bélugas striées de cicatrices.
La baleine est une masse de savoir (Musée de la Mer des Îles-de-la-Madeleine et le centre d’artistes AdMare, 2016) est le résultat d’une performance lors de laquelle les visiteurs étaient invités à rencontrer l’ossement d’un fœtus de cachalot. La captation de cet événement a ensuite donné lieu à une vidéo et à un ensemble d’images fixes.
Dans la performance participative Rejouer la pouponnière (2018) présentée au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, Goudreau donne à entendre aux visiteurs les sons captés dans une Whale nursery (pouponnière de baleines). D’autres recherches sonores, présentées sous forme d’installations immersives, ont été présentées par Goudreau. Whale Listener Station (2018) est composé d’un ensemble de photographies murales et d’une cabine d’écoute qui permet d’entendre les enregistrements des bélugas. Dans le ventre de la baleine est une installation d’art sonore immersive et «audio-tactile» qui restitue l’expérience, en plongée sous-marine, des ondes produites par les bélugas, auxquelles se superpose une narration.
Le triptyque vidéo Constellation du béluga (2019) dessine des parallèles entre l’histoire du béluga et celle de la conquête spatiale.
La somme de ces manifestations artistiques s'inscrit dans une volonté d'explorer le béluga sous toutes ses coutures et de questionner notre rapport à lui. À ce jour, l'archive est encore en cours de construction.
Les Archives du Béluga prennent un important nombre de formes, qui se déploient sur le temps long. Goudreau paraît épuiser les virtualités métaphoriques, médiatiques, poétiques, narratives de la baleine: en fonction d’un lien thématique (le béluga), ce sont une multitudes de médias, de supports, de discours qui sont explorés, mais aussi de registres d’énonciation. Ce sont également les perspectives interdisciplinaires sur le béluga qui sont déclinées par le prisme de la démarche artistique; posture sociologique, écologique, politique, anthropologique, scientifique, spirituelle. C’est dans cet esprit que plusieurs éléments de cette immense œuvre sont remixés, retravaillés et réintégrés à de nouvelles démarches afin de produire des propositions inédites.
Le nom même du projet dit bien son rapport à l’archive. Les archives préexistantes (au sens large, c’est-à-dire que ce terme englobe autant les documents de biologistes que des ossements) constituent le matériau de prédilection de l’artiste, mais son travail est aussi une manière d’en créer de nouvelles. En effet, les différentes productions proposées par Goudreau, en dehors de leur visée artistique, répondent aussi à des objectifs documentaires, éducatifs, et à un souci de préservation.
Dans le texte qui accompagne son travail de thèse (déposé dans le cadre d’une maîtrise en photographie), Goudreau écrit que sa pratique l’amène à constituer «une archive faite des os et reliques comme autant de portes symboliques ouvrant vers divers registres du monde, une archive fondamentalement fragile ou menacée, gardée cachée car honteuse; enfin, une archive en puissance, une forme artistique ouverte d’un récit qui se construit aujourd’hui.»
La baleine elle-même entretient un rapport puissant à l’archive sur le plan analogique (Goudreau dit d’elle qu’elle est considérée comme une masse de savoir, une bibliothèque dans un nombre important de cultures anciennes). Au-delà de ce rapport premier, l’extinction massive qui menace aujourd’hui plusieurs espèces de cétacés incite à la consignation de leur mœurs et modes de vie, qui seront peut-être, dans un futur imminent, les seules traces qui nous resteront de leur existence passée. Le présent du béluga et les témoignages produits à son sujet sont donc fortement assombris par l’ombre d’un futur peu reluisant, lui-même lié à l’épuisement – celui des ressources naturelles et des bassins de populations marines par les activités de surpêche effrénée.
«Parfois, les animaux servent de guide dans des récits : mon travail fait écho à ce genre millénaire. Mes projets se développent afin de rendre justice à une histoire vécue lors d’une de mes expériences avec le béluga. En juin 2018, dans la Baie d’Hudson, j’ai été protégée d’un ours polaire par un groupe de bélugas lorsque je filmais sous l’eau. Émue, j’ai interprété cette expérience comme un geste d’empathie et de bienveillance de la part d’une communauté qui aurait beaucoup à nous en apprendre sur la cohésion. Cet épisode personnel est l’élément déclencheur d’une grande réflexion à la base de tout ce que je développe actuellement, comme le film Ceux et celles qui écoutent les baleines. La situation alarmante des baleines nous est livrée à travers une fratrie d’enfants qui anime une radio pirate. À eux se joignent : des sentinelles, des scientifiques, des marins, des artistes et des sages. Tous contribuent à mettre en avant les chants essentiels des baleines. Misant sur le pouvoir de l’écoute, Ceux et celles qui écoutent les baleines est un documentaire de création de 75 minutes rassemblant une multitude de regards pour insuffler résilience, amour et empathie.»
«Mise au monde was born of the desire to create an essay around the cinéma direct masterpiece Pour la suite du monde (Moontrap, NFB, 1962), directed by Michel Brault, Marcel Carrière and Pierre Perrault. This film, which brought Québec into the modern era, documents the last capture of a beluga whale in Québec and shows the know-how involved in this pursuit commonly practised by the inhabitants of Isle-aux-Coudres. Pour la suite du monde shows the entire journey, from the place the whale is captured to where it is relocated; the New York Aquarium. Starting from Québec’s North Shore, I tried to relive this transport with a sculpture in white marble representing a beluga’s dorsal fin. Following this simulation, I continued my research in Russia, the last country to capture beluga whales for aquariums. There I followed the route of a beluga whale truck driver, adding four places and an equal number of parallel stories, enriching the narrative of the video essay. — M. G»