Adam’s CAM est une œuvre du musicien, compositeur, artiste, vidéaste et cinéaste français Sebastien Loghman. Lorsque l’internaute accède au site d’Adam’s CAM, deux options s’offrent à lui: cliquer sur le lien «Witness» pour visualiser l’œuvre dans une petite fenêtre qui s’ouvre discrètement au bas de l’écran, ou encore sur «Spy» pour visualiser l’œuvre dans une fenêtre de taille normale. Ces deux options nous amènent toutefois à la même image – celle d’une jeune femme en train de dormir, qui semble être filmée par une webcam.
L'oeuvre est aussi disponible sur le site d'Incident dans le cadre de l'exposition en ligne LE NU/THE NUDE/SERIES/INCIDENT.NET/2005 (http://www.incident.net/hors/nu/). De plus, une version de l’œuvre avec écran tactile a déjà été présentée en galerie sous le titre Le Sommeil (prière de ne pas toucher).
Dans Adam’s CAM, une jeune femme est couchée sur le ventre. Sa tête est tournée et il est impossible de voir son visage. Le plan de la caméra s’arrête juste sous les reins, à la naissance des fesses. Les draps sous la dormeuse sont blancs et froissés, sans signe distinctif. Le mur à l’arrière de l’image est lui aussi muet, sans motif. Aucun autre détail ne vient troubler le décor. De petits caractères rouges au bas de l’image indiquent la date et l’heure en temps réel, seconde par seconde. Adam’s CAM s'inscrit donc dans un double rapport au quotidien, autant par le fait qu'il marque le temps de manière insistante que par le caractère anodin des (in-)actions auxquelles assiste le spectateur.
Cette oeuvre est ainsi une tentative d'épuisement du quotidien, principalement par le biais du voyeurisme que permet l'usage de la caméra de surveillance. Lorsque l’internaute déplace le curseur de sa souris sur l’image, le pointeur se transforme en faible faisceau à peine visible qui caresse l’image sans la masquer. Si l’internaute clique sur la dormeuse en dirigeant le faisceau sur son dos, ses bras, ses côtes, ses épaules ou sa nuque, celle-ci semble se réveiller brièvement, troublée dans son sommeil, pour changer de position et se rendormir aussitôt. De plus, si l’internaute dérange la dormeuse un nombre suffisant de fois, celle-ci finit par reprendre sa position initiale et le cycle des petits dérangements peut reprendre à partir du début. Tout au long de ce jeu, la dormeuse ne se retourne toutefois jamais face à la caméra; peu importe le temps que l’internaute passe à l’observer et à la déranger dans son sommeil, jamais il ne pourra voir son visage.
De même, le spectateur ne pourra jamais parvenir à réveiller la dormeuse; les réactions de la dormeuse ne sont en fait que des bouts de films joués en boucle, activés par un clic de souris; et même l’heure, affichée au bas de l’écran, ne fait que creuser le fossé entre le spectateur et l’image (en effet, les secondes et les minutes qui défilent rappellent au spectateur qu’il est prisonnier de son propre temps et ne pourra jamais accéder au temps suspendu de la dormeuse). Plus l’expérience du spectateur progresse, plus le pacte initial qui le retenait à l’écran s’effrite. Bref, la caméra d’Adam (Adam’s Cam) devient rapidement l’arnaque d’Adam (Adam’s Scam)1.
Par ailleurs, le nom de l’œuvre, Adam’s CAM, suggère aussi que nous assistons ici à une scène primordiale: si le regard de la caméra est celui d’Adam, la dormeuse qu’il observe doit être Ève, la toute première femme de l’humanité. Mais ce regard se situe-t-il avant ou après la chute, dans l’Éden ou à l’extérieur du Paradis terrestre? La position du voyeur, le regard du spectateur qui érotise le corps nous fait pencher vers la deuxième option: «la lentille de la caméra engage nécessairement à une objectivation et à une érotisation du corps d’Ève. Elle ne fait pas que dormir, elle s’offre au regard, elle se laisse désirer, sa nudité est une invitation au voyeurisme 2 .» Le regard, ici, n’a rien de pur.
Comme le souligne Bertrand Gervais dans son article «L'effet de présence. De l'immédiateté de la représentation dans le cyberespace», il est toutefois «fascinant» de voir à quel point cet «imaginaire des origines» fait contrepoids à l’imaginaire de la fin habituellement lié au cyberespace 3. Le spectateur devenu voyeur qui observe la dormeuse vit l’expérience du premier homme: tout s’annihile en-dehors du couple qu’il forme avec la dormeuse, promesse de renouveau. Le spectateur est invité à recommencer le monde. Adam’s CAM nous autorise donc à repenser la question d'un présent en tension ou en suspend, puisque celui-ci fait ici l'objet d'une exploration numérique ancrée dans le temps, mais qui nous ramène pourtant à des scènes anhistoriques.
- 1. Gervais, Bertrand (04/2007) «L'effet de présence. De l'immédiateté de la représentation dans le cyberespace», Archée, no 4, section Cyberthéorie. En ligne: http://archee.qc.ca/ (consulté le 1er septembre 2009)
- 2. Ibid.
- 3. Ibid.