Oeuvre hypermédiatique
Every Icon
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Every Icon est une oeuvre hypermédiatique mise en ligne le 14 janvier 1997. Se présentant sous la forme d'une grille de 1 024 cases (32 X 32), le logiciel qui contrôle l'oeuvre doit décliner toutes les combinaisons possibles de cases noires ou blanches. Lorsque l'internaute se rend sur le site de l'oeuvre, la grille démarre la tâche initialement programmée par l’artiste John F. Simon Jr., débutant avec la grille vierge en tant qu’icône, et procédant vers une composition dont chaque case de la grille serait noire. Après quelques secondes de navigation, le site mesure la vitesse d'affichage du processeur de notre ordinateur et met à jour l'état actuel de l'icône depuis sa mise en ligne (Measuring Display Speed and Updating Icon). L’œuvre restitue son processus de résolution, pour ensuite être vécue en temps réel par l’internaute, qui peut observer la succession des possibilités iconiques.

L'ancien site web de l'oeuvre est partiellement archivé sur Internet Archive, tandis que l'oeuvre est désormais disponible sur le site de John F. Simon Jr.

Relation au projet: 

Every Icon tente d'épuiser toutes les possibilités associées à une formule mathématique, et atteste de l'impossibilité d'en témoigner en suivant le rythme de la temporalité humaine. Tandis que résoudre l'ensemble des combinaisons de la première ligne à une vitesse moyenne de 100 icônes par seconde a nécessité 16 mois, la seconde ligne prendra exponentiellement 5,85 milliards d'années avant d'être complétée. À cette vitesse d’exécution, calculée en 1997, le nombre total de variations mathématiquement concevable à l’intérieur de la grille correspond à 1,8 multiplié par 10308 (en comparaison, 1 milliard d’années correspondent à 109). Le temps requis pour que la grille devienne complètement noire est de plusieurs centaines de milliards d’années, durée qui ouvre des réflexions sur les possibles de l’imagination, malgré l’impression de saturation visuelle parfois engendrée par le web, comme l’affirme John F. Simon Jr.: «Because there’s no word for that amount of time and no word for that large of a number, several hundred trillion years is my way of making you think about a very, very long time. There was a lot of talk at the end of the 80's when post-modernism was emerging about how we've reached the end of imaging, and I wanted to show that even in a simple 32-by-32 space, the possibilities for imaging were vast.» (Mirapaul, 1997)  

Véritable Bibliothèque de Babel, tel que développée dans la célèbre nouvelle de Jorge Luis Borges, mais symbolisant l’infinité de l’image plus que du langage, Every Icon métaphorise l’exhaustivité du régime des images présent sur le web et ailleurs. Face à cette manifestation de l’infini, l’internaute est confronté à une configuration formelle qui peut être résolue d’un point de vue conceptuel, mais irréalisable en pratique. L’œuvre confronte une opération mathématique, en tant qu’opération rationnelle, à la temporalité du tangible, et aussi à la perception humaine. Bien qu’il soit possible d’affirmer que l’amélioration de la rapidité d’exécution de la tâche informatique programmée par l’artiste se soit accélérée depuis 20 ans, et qu’elle continuera de le faire dans le futur, cette accélération pourrait paradoxalement engendrer une impossibilité pour l’œil humain de percevoir le changement visuel d’une telle opération. Every Icon pose ainsi la question des limites de la perception humaine face à la technologie informatique, perception qui est intrinsèquement liée à la capacité de notre œil de capter des changements optiques dans une durée donnée. Le rapport qu'entretient l'archive au temps (de sa conservation, de sa consultation) en tant que paramètre agissant sur ses conditions de lisibilité est ainsi éminemment questionné par l'oeuvre, qui soulève par exemple certaines distinctions entre présent humain et présent de la machine.

Le terme «icône», contenu dans le titre de l’œuvre, ne réfère pas explicitement à un signe qui, d’un point de vue sémiologique, développe un rapport de ressemblance envers la réalité extérieure, mais plutôt, de manière pragmatique, et en termes informatiques, à «un symbole graphique affiché sur l’écran d’un ordinateur et correspondant, au sein d’un logiciel, à l’exécution d’une tâche particulière.» (Larousse) Tout de même, la signification iconique de l’œuvre interroge les possibilités figuratives et signalétiques générées par la technologie et le hasard, le manque de limite du régime des images, en continuelle expansion, ainsi que la contemporanéité passagère de la compréhension d’une icône donnée, dont la signification fluctue dans le temps. Ainsi, selon Simon, «we could be looking at something that has meaning, but because of who we are and what we are now, we might not recognize it». (Mirapaul, 1997) Every Icon permettra peut-être de générer de manière automatique, dans une centaine de générations, des icônes qui auront une signification pour les sociétés à venir. Se développant dans une durée qui frôle l’infini, l’oeuvre retarde à l’excès la signification iconique du point de vue sémiologique de l’image sans la rejeter, celle-ci étant subordonnée à une opération informatique.

L’œuvre de Simon démontre que l’autorité et les conditions de monstration de l’image en tant qu’entité autonome sont, depuis l’avènement du web, grandement déstabilisées. S’il est possible d’affirmer une certaine dépendance de l’image envers l’univers du web et de l’informatique auquel elle est intégrée, précisément lorsque celle-ci est transformée et générée de manière programmée, les technologies de l’image permettent aussi d’intégrer celle-ci dans le futur. Every Icon crée visuellement l'impression d'une abstraction géométrique en mouvement, d'un calcul mathématique matérialisé et en quête de résolution, symbolisant la primauté du flux sur la fixité de l’image.

Discours / Notes: 

Can a machine produce every possible image? What are the limits of this kind of automation? Is it possible to practice image making by exploring all of image-space using a computer rather than by recording from the world around us? What does it mean that one may discover visual imagery so detached from "nature"? Every Icon progresses by counting. Starting with an image where every grid element is white, the software displays combinations of black and white elements, proceeding toward an image where every element is black. In contrast to presenting a single image as an intentional sign, Every Icon presents all possibilities. The grid contains all possible images. Any change in the starting conditions, such as the size of the grid or the color of the element, determines an entirely different set of possible images. When Every Icon begins, the image changes rapidly. Yet the progression of the elements across the grid seems to take longer and longer. How long until recognizable images appear? Try several hundred trillion years. The total number of black and white icons in a 32 X 32 grid is: 1.8 X 10308(a billion is 109). Though, for example, at a rate of 100 icons per second (on a typical desktop computer), it will take only 1.36 years to display all variations of the first line of the grid, the second line takes an exponentially longer 5.85 billion years to complete. While Every Icon is resolved conceptually, it is unresolvable in practice. In some ways the theoretical possibilities outdistance the time scales of both evolution and imagination. It posits a representational system where computational promise is intricately linked to extraordinary duration and momentary sensation. (Simon, 1996)