Performance
Touch Sanitation
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Touch Sanitation est une performance réalisée par Mierle Laderman Ukeles sur une période de trois ans (1977-1980) en partenariat avec les travailleurs de New York City Department of Sanitation. Elle se compose de deux projets s’étant déroulés dans le cadre d’une résidence de dix ans (non rémunérée). Pour le premier, Handshake Rituals, l’artiste s’est livrée à un rituel consistant à serrer la main des travailleurs du département (plus de 8 300), essentiellement des éboueurs, qui prennent en charge la maintenance des cinquante-cinq districts sanitaires de New York. Pour le second, Follow in Your Footsteps, elle a suivi et documenté le travail des sanmen (notamment photographiquement) à qui elle avait présenté le projet tout en formulant à leur égard des remerciements (« Thanks for keeping New York City alive »), et elle a reproduit les gestes des éboueurs pour en faire des sortes de chorégraphies. The Touch Sanitation Show (galerie Ronald Feldman, 1984) fait suite à cette performance. L’exposition est constituée de deux installations (Sanman’s Place et Maintenance City) qui rendent compte de la performance et rendent hommage aux employés qui en sont l’objet principal.

En dépit de leur invisibilité manifeste, c’est sur leur travail que repose, de l'avis de Ukeles, le maintien de l’hygiène et la possibilité du vivre ensemble. Ces travailleurs, appelés des sanmen (abréviation de sanitation men), sont souvent critiqués et victimes d’un important mépris social. Mierle Laderman Ukeles crée un parallèle entre la négation et la minimisation de leur contribution au bon fonctionnement communautaire et celles qui sont infligées aux femmes lorsqu’elles évoluent dans la sphère privée et prennent en charge une série de tâches qui s’inscrivent dans la logique du travail domestique et qui font l’objet d’un manque de considération. Les violences de genre et de classe sont alors mises en parallèles et recoupent aussi la dimension écologique (il s’agit de s’interroger sur la manière dont prendre soin du monde, au sens large, et de ceux et celles à qui revient traditionnellement cette responsabilité). Selon Émilie Blanc, Mierle Laderman Ukeles «conteste la hiérarchie de valeurs au sein de laquelle le développement et l’innovation sont opposés à la maintenance et à la durabilité, alors que ces notions s’inscrivent dans la complémentarité».

Dans Touch Sanitation, l’art, la maintenance et les travaux ménagers sont mis sur un pied d’égalité: la démarche artistique est ramené à sa dimension artisanale, à la question de l’ouvrage, tandis que le travail de l’ouvrier et de la ménagère sont abordés dans leurs dimensions créatrices. Art et labeur sont questionnés à l’aune de leur utilité sociale. En ce sens, Touch Sanitation répond en partie à la question formulée par Mierle Laderman Ukeles dans Manifesto for Maintenance Art! (1969): «après la révolution, qui va ramasser les ordures lundi matin?»

Relation au projet: 

La démarche de Mierle Laderman Ukeles est en soi une tentative qui aspire à l’exhaustivité, puisqu’elle est motivée par la volonté de rencontrer sans exception chacun des travailleurs du département de l’assainissement de la ville de New York. La volonté de décliner l'expérience sous plusieurs formes et grâce à plusieurs médias (performance, photographie, exposition) au cours d'un projet sur le long cours (une décennie) témoigne d'une volonté d'épuiser le sujet en lui-même.

Touch Sanitation est une performance dont les seules traces aujourd’hui disponibles sont les documents photographiques produits par l’artiste, lesquels témoignent de sa volonté d’archiver le présent des éboueurs de la ville de New York. De l’aveu de l’artiste (dans un entretien avec Ryan Bartholomew, «Manifesto for Maintenance Art : A Conversation With Mierle Laderman Ukeles», Art In America, 30 mars 2009), l’objectif de Touch Sanitation est «d’écouter le bourdonnement de la vie quotidienne.»

Dans Touch Sanitation, l’artiste présente des activités de la vie de tous les jours sous forme d’œuvres d'art et crée donc un art du quotidien. La tâche des éboueurs en elle-même est un travail quotidien, sans cesse renouvelé, tout comme les tâches ménagères (avec lesquelles Mierle Laderman Ukeles crée un parallèle) sont des gestes répétitifs et épuisants que l’on pose à un rythme journalier. Ils sont imperceptibles d’une part et, d’autre part, rarement intégrés à une démarche artistique. C’est dans cette mesure que Mierle Laderman Ukeles épuise une partie de leur potentiel en les insérant dans des espaces, des dispositifs et des cadres interprétatifs inédits – ce qu’elle appelle l’art de la maintenance. Mierle Laderman Ukeles pose en effet une différence entre travail et maintenance: la seconde se distingue du premier par son côté répétitif, inerte, qui l’oppose aux impératifs du capitalisme néo-libéral tels que la performance, le rendement, la nouveauté. La démarche produit un détournement, dans une perspective artistique, de gestes mécaniques et itératifs, considérés comme dépourvus de créativité. Enfin, au sens propre du terme, ce sont des activités épuisantes, qui usent le corps.