Film
Wintopia
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Wintopia est un film de Mira Burt-Wintonick qui porte sur son père, le documentariste canadien Peter Wintonick (connu entre autres pour des films tels que Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media, 1992 et Cinéma Vérité: Defining the Moment, 1999), ainsi que sur la relation forte et complexe qu’elle entretenait avec lui. Le film de 88 minutes est exclusivement composé de vidéos captées par Peter Wintonick sur sa caméra super 8 au cours de sa prolifique carrière, qui l’a amené à voyager à de nombreuses reprises autour du monde.

Lors de son décès à Montréal en 2013, Wintonick laisse à sa fille un volumineux ensemble de vidéocassettes (300), qui gravitent toutes autour du sujet de l’utopie. Enregistrées dans le cadre d’un projet sur le long cours (le film Utopia) que le réalisateur n’aura pu achever avant son décès, ces vidéocassettes captent divers endroits du monde qui ont été, à un moment ou un autre de l’histoire, liés à l’utopie (lieux qui vont de la cellule de Mandela aux villages communistes autogérés). Portant sur l’utopie (paradis terrestre, mais aussi non-lieu, selon l’étymologie du terme), le film en serait lui-même resté à sa dimension utopique et fantasmatique si Mira Burt-Wintonick n’avait entrepris le projet de monter ce flot imposant d’images afin d’en proposer une interprétation entre l’hommage et l’autobiographie. Aux images du père se superpose ainsi la voix de la fille, qui raconte la vie professionnelle et familiale de Wintonick sur un ton qui laisse transparaitre autant l’amour filial que la douleur de grandir loin d’un «papa pete» toujours en déplacement, accessible presque exclusivement à travers les images – celles qui le captent et celles qu’il a captées.

Relation au projet: 

La matière du film de Mira Burt-Wintonick, en dehors du grain de sa voix enregistrée, est l’archive imposante produite par son père tout au long de sa carrière. Mais le projet de Wintonick lui-même était, au départ, lié à la question de l’exhaustivité et de l’épuisement, puisqu’il s’agissait après tout d’explorer et d’exploiter toutes les virtualités possibles, concrètes ou rêvées, de la notion d’utopie. À cet épuisement initial, qui se décline en un nombre vertigineux d’enregistrements (qui sont tout autant de captations d’un présent disparu), s’ajoute celui de Burt-Wintonick. En effet, la conscience du film est traversée par le fantôme de tous les films qui, à partir de ces bandes, auraient pu être montés. Le documentaire de Burt-Wintonick se présente donc comme l’une des actualisations possible de cet inépuisable fond archivistique personnel produit par le père.

Le contenu des archives lui-même entretient un rapport particulier au quotidien, à la banalité supposée de ce dernier: les images filment la monotonie des jours de voyage, qui s’écoulent presque hors du temps, et qui sont ponctués d’activités relativement peu spectaculaires même si elles sont exceptionnelles au sens où elles ne participent pas de l’univers du quotidien, mais de celui du voyage. En ce sens, elles donnent peut-être à voir ce que le non-quotidien peut avoir d’ordinaire, à moins qu'elles ne mettent en scène cet apparant oxymore qu'est le quotidien du voyage.

Le rapport au temps est, lui aussi, problématisé par la réalisatrice: le présent filmé par le père est éminemment daté, et plusieurs des utopies sociales qu’il se propose de capter sont devenues, au moment où Burt-Wintonick réalise son projet, des chimères ou des sources de désillusion. En cherchant à dénicher et deviner l’avenir prometteur dans les recoins du présent, c’est donc finalement un passé politique révolu que filme sans le savoir Wintonick.