En novembre 2015, Clara Beaudoux commence à publier des Tweets où elle révèle la vie de l’ancienne habitante de son nouveau logement. On découvre avec elle Madeleine, qui aurait eu 100 ans au moment où commence l’aventure. Beaudoux poste des photographies d’artéfacts qu’elle accompagne de commentaires et de questions qu’elle adresse à cette Madeleine absente sur laquelle elle s’interroge et dont elle essaie de deviner l’existence à travers ses objets.
Cette initiative, qui prend d'abord naissance sous la forme d'un docu-twitter, a égalemment été publiée sous forme papier. Le livre ne retranscrit pas le contenu des tweets mais livre plutôt des captures d'écran de ces derniers, maintenant sous cette forme livresque la structure du médium dont l'oeuvre est native.
Le Madeleine Project est une archive du passé, celui de Madeleine, mais aussi celle d’un présent, celui de la recherche, qui se déploie en ligne. De plus, même si le Madeleine Project s’inscrit dans un rapport évident au passé, Beaudoux y envisage ce dernier comme le « fossile » d’un certain présent, archivé au travers de ses divers artéfacts.
Beaudoux le spécifie elle-même, elle n’est pas «à la recherche [d’un temps perdu] mais d’un temps vécu, de fragments d’une mémoire traversée par l’Histoire », d’un temps suspendu et qui attend le passage d’une autre, l’investissement d’une nouvelle voix pour être réactualisé. Ce n’est donc pas qu’un archive de la vie de Madeleine qu’échaffaude Beaudoux, mais une véritable exploration, dont l’objectif est précisément l’épuisement d’un quotidien, de ses potentialités romanesques et spéculatives. Le projet interroge et donne à voir ce qu’un individu conserve, les objets qu’il accumule de son passé, ceux qu’il investit d’affect.
Dans le Madeleine Project se succèdent des photos où les bibelots côtoient les unes de journaux sur lesquelles s’affichent des grands titres historiques, la grande et la petite histoire s’emboitant l’une dans l’autre sans qu’on sache bien laquelle est portée par l’autre. Le fait de photographier d’anciens journaux est en soi un phénomène intéressant, le quotidien étant une forme de discours conçu pour se performer dans l’instantanéité. Le journal relève de l’éphémère parce qu’il s’occupe de l’actuel, de l’immédiatement périssable, ce qui fait écho aux tweets, eux aussi initialement destinés à être ensevelis peu après leur apparition.
D’en produire systématiquement des clichés semble témoigner d’un effort de les rapatrier dans un autre rapport à la mémoire et au temps. C’est d’autant plus vrai qu’en marge des pages sont numérotés les jours d’enquête, scansion qui rappelle celle du journal intime, exercice de consignation du quotidien par excellence. Les tweets eux-mêmes sont accompagnés de leur date de publication puisqu’ils sont des « captures d’écran », c’est-à-dire qu’ils cherchent littéralement à figer ces tweets dans leur temps d’énonciation, à les capturer.