Les petites annonces, une exposition solo présentée au Centre d'art et de diffusion Clark, à Montréal, du 8 janvier au 14 février 2009, regroupe deux-cent petites annonces manuscrites trouvées au Québec entre 2001 et 2009 pinées sur trois babillards.
S’inscrivant dans la lignée du ready made, les petites annonces choisies par Marc-Antoine K. Phaneuf invitent le spectateur-lecteur à imaginer une vie fictionnelle à leur auteur par les jeux de mots non intentionnels qu’elles convoquent. Les affichettes exposées sont tirées du réel, mais la combinaison entre matérialité et message les transforme en véritables matériaux littéraires –et donc en fictions– dont l’ambiguïté sémantique est porteuse de poésie. Ce dialogue entre contenu et contenant, mêlant souvent humour et malaise, révèle des images inattendues et des situations hors normes. Les nombreuses erreurs d’orthographe et de syntaxe altèrent le sens qu’ont voulu donner les auteurs anonymes à leurs annonces, soulignant naïveté et maladresse. L’œuvre de ces anonymes est par ailleurs exposée à leur insu: «Maladroites et brouillonnes, certaines petites annonces semblent refléter une pensée insaisissable, trop complexe pour être énoncée clairement, bref, une pensée en ébullition.» (Arsenault, 2009) Certaines affichettes ouvrent ainsi un «monde possible» : on se demande, par exemple, ce qui se produira si on se rend au 3970 rue Adam, où un nudiste se cherche des amis. Qui ouvrira la porte de cet appartement? Que portera-t-il? Quels seront ses premiers mots? Devant cette exposition, le spectateur-lecteur n’est pas certain de l’attitude à adopter : doit-on rire –et si oui, de qui–, être attendri, fasciné ou impressionné? Investies dans un contexte nouveau, les petites annonces choisies par Phaneuf évoquent, par l'accumulation, le quotidien dans toute son incongruité.
La disparité matérielle des diverses annonces crée un effet de désordre. Sous le signe de l’accumulation et de la profusion, le regroupement de petites annonces crée un vertige, une sensation d’infini qui donne une illusion d’exhaustivité. Extirpé de son contexte original, un objet anodin est ici traité comme un objet de collection rare, d’une importante richesse linguistique. Phaneuf transforme une pratique courante et banale –le fait de rédiger une petite annonce– en pratique artistique, invitant le lecteur à participer à la construction du sens de l'oeuvre: «En collectionnant les petites annonces, je deviens un lecteur actif. En les montrant dans une salle d’exposition, j’invite le spectateur à devenir actif, à faire des liens, à voir la fiction probable d’un document original.» (Arsenault, 2009) Le mariage entre culture populaire et culture d’élite pose la question des limites de la poésie, mais aussi celle de la propriété; ces annonces ont été, en quelque sorte, volées. Appartiennent-elles au propriétaire du babillard, à celui qui les a écrites ou relèvent-elles du domaine public?
Cette exposition de Phaneuf pose la question des limites de la poésie. L’auteur fait ressortir la densité poétique des petites annonces, laissant le spectateur-lecteur sous l’impression que le texte dépasse la page, que le contenu excède le contenant. En filigrane de l’accumulation des annonces se trouve une volonté de souligner que la poésie peut se trouver partout. On peut ici parler de tentative d’épuisement d’un dispositif (celui d’afficher des petites annonces) tant en raison de la quantité d’annonces collectionnées qu'en raison de l’illusion d’exhaustivité créée par la matérialité du dispositif. L’acte de collection, orchestré par Phaneuf pendant 7 ans, témoigne d’une méticulosité et d'une rigueur dans le choix et l’accumulation des petites annonces.
«À la base, je cherche des fictions, construites à la fois par le message et la matérialité d’une annonce. J’ai décroché la toute première au marché Métro de Gaspé, à l’été 2001, alors que j’étais en vacances en Gaspésie. C’était une feuille 8,5 x 11, manuscrite à l’encre bleue, où un homme clamait sa recherche d’une femme (Pour toute ma vie; voir le portfolio de ce numéro). La mise en page était bancale à cause de son déséquilibre graphique; le texte était truffé de fautes d’orthographe, mais une lecture à double sens (comprenant soit la réalité du message, soit un récit improbable modelé par les verbes mal accordés) révélait une certaine poésie. En somme, ce document trouvé dans l’entrée d’une épicerie était empreint de fiction: la nature du message et les informations présentes sur l’annonce (l’auteur y donnait son adresse civique, son numéro de téléphone et sa date de naissance) me mettaient sous les yeux un document se référant à une histoire réelle qui se passait quelque part et qui reflétait la perception, la créativité, la pensée, mais aussi la naïveté, d’un individu. C’est ce regard amusé sur la manière dont quelqu’un se présente qui m’a le plus intéressé.» (Mathieu Arsenault, «Bizarre, étéroclithe et pratique: matérialité des petites annonces», Spirale, numéro 224, janvier-février 2009.)