En 2009, l’auteure allemande Judith Schalansky fait paraître son Atlas der abgelegenen Inseln aux éditions Mare à Hambourg. L’année suivante, le livre est publié chez Arthaud (Flammarion) à Paris sous le titre français Atlas des îles abandonnées, dans une traduction d’Élisabeth Landes.
L’œuvre réunit, en plus de la préface d’Olivier de Kersauson et d’un avant-propos de l’auteure, cinquante fiches cartographiques d’îles diverses éparpillées à travers les cinq grands océans. Ces îles ont toutes en commun d’être de petite taille et éloignées des continents (ce que le terme allemand abgelegenen indique bien). Contrairement à ce que laisse entendre le titre français, les îles ne sont pas toutes abandonnées ou inhabitées. Or, il est vrai que certaines de ces îles sont désertes, notamment les îles Solitude (Russie), Cocos (Costa Rica), Clipperton (France) et Antipode (Nouvelle-Zélande).
Chaque fiche occupe deux pages. La belle page présente la carte topographique de l’île, dessinée à la main par Schalansky. Y sont inclus les éléments toponymiques, des indications sur le relief (point coté, sans courbe de niveau) et les principales routes (le cas échéant). La fausse page offre un court texte, plus littéraire que didactique, s’inspirant des récits d’explorateur et de l’imaginaire propre à l’île dont il est question. En ce sens, ce sont plutôt des fragments littéraires qui racontent les îles que de véritables descriptions factuelles. On retrouve sur cette même page quelques informations placées dans l’entête (superficie, population, coordonnées et positions géographiques, noms des îles en langues étrangères, ligne du temps des événements importants, et distance par rapport à d’autres lieux).
Cet étrange atlas fait se réunir deux modes de saisissement du monde, deux formes de savoir: le scientifique, par la cartographie et la topographie, et le littéraire, par les récits que rédige Judith Schalansky pour chacune des îles. L’atlas rappelle par le fait même que les îles sont des lignes de fuite pour l’imaginaire, et qu’elles alimentent, au-delà des traits topographiques, les utopies les plus brûlantes.
L’Atlas des îles abandonnées de Schalansky a remporté en 2009 le premier prix de la Fondation Buchkunst, qui récompense les plus beaux livres allemands, le German Design Award en 2011 et le Red Dot Design Award la même année. Il a été réédité en 2011 en format poche à la maison d’édition Fischer (Taschenatlas der abgelegenen Inseln) et a été traduit en plusieurs langues. L’ouvrage a aussi été produit en version audio chez l’éditeur Christoph Merian. Enfin, il a lancé, aux éditions Arthaud, toute une collection d’«atlas poétiques»: Atlas des paradis perdus, Atlas des lieux maudits, Atlas des pays qui n’existent pas, etc.
Comme tout atlas, qui réunit des cartes pour former un ensemble cohérent, l’Atlas de Judith Schalansky tente de rendre compte du monde en deux dimensions. Seulement, ici, il s’agit de lieux oubliés, radicalement isolés. La tentative d’épuisement concerne ici ces lieux insulaires si petits ou si éloignés qu’on en oublie l’existence. Ne pourrait-on pas parler ici d’une archive-archipel? L’effort archivistique de Schalansky rapproche effectivement ces espaces fondamentalement distants les uns des autres, et forme un archipel des marges nationales.