"Unstuck in Time": L’arrachement au temps dans l’imaginaire de la fin contemporain. Arrival de Denis Villeneuve

Le temps, voilà qui me donne toujours à réfléchir. Il passe vite, mais au milieu de toute cette vitesse, il semble soudain se courber, il semble se briser, et alors c’est comme s’il n’y avait plus de temps.

– Robert Walser

 

Ce qui faisait peur, maintenant étonne ou amuse. Ce qui suscitait angoisses et tremblements se retrouve sur les rayons des grandes surfaces, sur nos écrans d’ordinateur ou dans les salles de cinéma et les galeries d’art. La fin du monde n’est plus une vision effroyable, une menace d’anéantissement à ne pas prendre à la légère, mais une idée avec laquelle on joue. On s’amuse à se faire des peurs. D’aucuns diront qu’on n’y croit plus, mais en même temps, on ne cesse de la mette en scène, dans des superproductions américaines comme dans des films d’art ou d’auteur.

Souvenons-nous de la remarque d’Umberto Eco sur le passage à l’an 2000 et l’engouement médiatique suscité alors pour les scénarios de fin du monde. Comparant cette surmédiatisation au passage à l’an mil, qui aurait entrainé de véritables paniques millénaristes, négligées faute de documents, il déclarait : «Par défaut d’archives, nous avons cru que ces peurs avaient été inexistantes pendant la nuit du 31 décembre 999. Par excès d’archives, nos descendants pourront croire que toute l’humanité a été saisie d’épouvante pendant la nuit du 31 décembre 1999» (Eco, 1998, p.240). 

Dix huit ans plus tard, cette épouvante semble encore d’actualité, alimentée par des événements qui, répercutés à l’échelle mondiale, font craindre le pire, depuis les attentats du 11 septembre 2001 jusqu’à la récession de 2008, l’accélération du réchauffement climatique couplé à l’immobilisme généralisé, la fragilisation de l’Europe, notamment depuis le Brexit, l’élection de Donald Trump, la montée des extrêmes droites, etc.

Si l’imaginaire de la fin trahit une angoisse fondamentale1 – celle d’une mort que nous savons inéluctable, celle d’un univers que nous ne parvenons pas à maîtriser –, il semble que cette appréhension n’ait jamais été aussi vive, ce dont témoignent aisément les productions artistiques et culturelles contemporaines. Elles ne font pas qu’en réitérer les principaux motifs, elles attestent d’une mutation fondamentale de sa logique même.

L’imaginaire de la fin contemporain est marqué par la multiplication des situations de crise. La crise est une forme dynamique: elle tend vers sa résolution, c’est-à-dire qu’elle se déploie en fonction d’une fin qui est sa loi. La crise en acte et le présent qu’elle introduit, s’ils sont oppressants et fascinants tout à la fois, dans leurs effets de surface et l’exacerbation des perceptions qu’ils entraînent, viennent forcément à passer. Or, dans l’imaginaire contemporain, ce présent de la crise ne se referme plus, du simple fait qu’il se multiplie à l’envi. La crise ne se résout jamais, sa réalité ne cesse d’être réitérée. Et cette répétition, le cercle vicieux d’une fin appréhendée, repoussée puis rejouée, substitue l’épuisement à la transcendance. La répétition s’impose alors comme trait dominant et l’interruption, comme seule façon de mettre fin au processus.

De l’opposition traditionnelle entre fin cyclique et fin linéaire, qui permettait de distinguer un imaginaire de la fin traditionnel, fondé sur le religieux, et un imaginaire moderne, essentiellement profane, nous sommes passés à une opposition entre la fin comme principe de cohérence et la fin comme interruption, jeu des contingences, entropie. Cette fin ne s’ouvre plus sur aucune transcendance permettant de rétablir l’ordre; au contraire, elle se retourne sur elle-même, créant un pli dont on ne peut s’extraire. Nous entrons alors dans une logique de la discontinuité, de la suspension et de l’intermittence. Le présent, ce temps coincé entre le passé et le futur, devient un pur morceau d’angoisse, car il ne s’ouvre sur rien, sinon sur sa propre disparition. L’imaginaire de la fin contemporain porte la marque du présentisme, de ce présent qui ne donne accès à rien, qui se replie au contraire sur lui-même, fasciné par sa propre actualité et les événements qui en strient la surface2. À quoi ressemble une fin du monde imaginée en contexte présentiste? À une fin qui ne transporte le présent nulle part, une fin qui ne le dépasse jamais, soit que ce présent se répète dans des boucles qui peu à peu se détériorent jusqu’à atteindre une entropie maximale, soit qu’il s’affranchisse de la ligne du temps, devenant son propre espace qui peut être exploré dans le détachement le plus complet. À quoi ressemble une fin du monde imaginée en culture de l’écran? Elle ressemble à une fin où les surfaces de projection se multiplient et se répondent les unes les autres, où les images occupent une place prépondérante et où les frontières entre les mondes – réels, imaginaires, parallèles, emboités – se brouillent jusqu’à imposer leur propre réalité différentielle.

Si l’imaginaire de la fin moderne tablait sur une mémoire capable d’embrasser tous les temps et de maîtriser leurs relations, l’imaginaire de la fin contemporain mise plutôt sur l’oubli et la confusion, seule façon de survivre aux inconstances du temps et de ses perturbations. Les productions contemporaines exacerbent les éléments de cette confusion. Elles démontrent, par un ensemble de procédés de parcellisation, d’exacerbation et de défamiliarisation, les mécanismes de nos expériences, isolant ici un élément de croyance, là un réflexe ou un préjugé. Elles nous disent en fait que la fin, puisqu’on ne s’en sortira jamais, doit non plus nous effrayer, mais nous émerveiller par sa dimension spectaculaire et peut-être aussi, dans le meilleur des cas, nous faire réfléchir.

Dans le cadre de cet article, je veux m’intéresser au film du cinéaste Denis Villeneuve, Arrival (2016). L’imaginaire de la fin s’y déploie sur le mode d’une déprise ou d’un arrachement au temps qui est une variation sur la notion de répétition. Ce film nous fait suivre une femme, linguiste de profession, qui se retrouve étrangement détachée de la ligne du temps, «unstuck in time» pour reprendre l’expression de Kurt Vonnegut Jr, dans Slaughterhouse 5, roman de 1969. L’héroïne s’émancipe du temps de sa propre vie et parvient à s’y déplacer comme si son existence était un espace et non une durée. Je vais m’intéresser à Arrival, mais la situation qu’il finit par mettre en scène joue sur une déprise temporelle que des films tels que Mr Nobody de Van Dormael (2010) ou Interstellar de Christopher Nolan (2014) exploitent à leur façon. La déprise temporelle y apparaît comme mécanisme de fuite face à une fin du monde. Ces films montrent que, lorsque le monde est confronté à une impasse, lorsque l’espace se trouve en quelque sorte annihilé, le temps s’impose comme lieu par excellence de la fuite.

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Figure 1. Photogramme tiré d'Arrival [Film], Denis Villeneuve, 2016.

 

Un imaginaire de la fin contemporain

Les termes qui permettent de penser la fin ressortent infailliblement au vocabulaire du temps. Penser la fin, c’est habiter le temps et le déployer en un cadre qui parvient à occuper l’horizon tout entier. La fin du monde est une situation singulière, où la crise secoue l’univers jusque dans ses fondements. Les déséquilibres y sont non seulement spatiaux, c’est le monde qui explose, mais encore temporels: le temps lui-même en vient à se défaire, disloquant toute forme d’horizon d’attente et de structure mémorielle. Ces perturbations affectent même les liens entre les mots et les choses, c’est dire que les désordres langagiers se multiplient et que les sujets soumis à ces torsions se transforment en êtres résolument sémiotiques, obsédés par la recherche et l’interprétation des signes. L’imaginaire de la fin se déploie ainsi en fonction d’une surdétermination de l’activité interprétative.

Crise, désordres temporels, dérèglements langagiers, activité sémiotique surdéterminée; ces quatre traits sont au rendez-vous du film Arrival. La crise y surgit au moment où douze vaisseaux extraterrestres font leur apparition sur terre (aux États-Unis et au Royaume-Uni, au Venezuela, au Groenland, au Sierra Leone, au Soudan, en Russie, en Chine, au Pakistan, au Japon et en Australie). Ces vaisseaux qui ressemblent à d’immenses coques sont intimidants, tout à fait à la manière du monolithe dans 2001, A Space Odyssey de Stanley Kubrick (1968). Ils paraissent impénétrables, repliés sur eux-mêmes, tels des énigmes. Comme dans le film de Kubrick, la forme des coques représente la perfection, et leur couleur sombre, l’impénétrabilité. De la même manière, l’impatience des États pressés d’en déchiffrer le sens renvoie aux gesticulations des australopithèques qui, dans 2001, s’égosillent et se surexcitent, irrités par l’indifférence du monolithe. Dans un clin d’œil évident au film de Kubrick, où l’apparition du monolithe survient dans le segment initial, intitulé «L’aube de l’humanité», l’apparition des coques dans Arrival signale le commencement d’une posthumanité, où le temps n’est pas intériorisé ou sémiotisé, mais bel et bien désarrimé, sorti de ses gonds.

Si les dernières décennies nous ont habitués à des vaisseaux spatiaux tout en reliefs et en textures, où fenêtres, sas et canons sont multipliés à l’envi, signes d’une technologie avancée, mais surtout fièrement exhibée, la relative absence de tout signe de technologie sur les vaisseaux des Heptapodes déjoue ces attentes, en en renversant la logique. Leur technologie est d’autant plus avancée qu’elle ne se donne même pas la peine de s’afficher. La menace vient de l’absence de signes. Les vaisseaux sont faits d’une surface lisse et sans aspérité qui ne laisse rien passer, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur. Ce régime d’opacité ne saurait être plus complet. Les vaisseaux sont une pure présence, celle d’une altérité fondamentale. Leurs occupants ne cherchent même pas, dans un premier temps, à entrer en contact avec les êtres humains. Ils se contentent d’être là, flottant à la verticale, à quelques mètres du sol ou de la surface de l’eau, sans bruits ni mouvements brusques. Et ils laissent venir à eux.

Mais, leur seule présence est un scandale qui secoue le monde à même ses assisses. Quel que soit le pays où ils sont apparus, la première réaction du gouvernement a été de dépêcher l’armée. La présence des coques est une attaque à laquelle il faut vite riposter. C’est dire qu’elle provoque une situation de crise mondiale. Non seulement nous indique-t-elle que nous ne sommes pas seuls dans l’univers, mais encore que la technologie des extraterrestres est à des années lumière de la nôtre. Nous pourrions être au seuil de la fin de notre monde, mis en ruines par des armes dont nous ne pouvons encore anticiper l’existence. Tout pourrait être déjà joué, notre destruction temporairement suspendue pour des raisons encore inconnues. La population mondiale l’a bien compris d’ailleurs, car les rassemblements et les manifestations se multiplient. Dans une allusion explicite aux agissements des sectes millénaristes, on apprend, lors d’un bulletin de nouvelles, que les 144 membres de la Saint Lawrence Pentecostal Cult ont mis le feu à leur église, l’arrivée des vaisseaux représentant la réalisation d’une prophétie à caractère apocalyptique.

Le temps de la crise est un chronotope singulier marqué par des visions et par une accélération des événements qui voient un monde céder sa place à un nouveau qui le supplante. La crise est un espace-temps plein, avec sa propre logique et sa dynamique précise. Elle voit en fait à l’ouverture et à la prise en charge d’un espace de transition, où la fin peut être vécue et devenir objet de représentation. La fin est d’emblée transitive: c’est la fin de quelque chose. Elle est donc aussi transition: le passage à un monde ou à un ordre nouveau. Or, ce passage est une frontière, au sens états-uniens du terme, c’est-à-dire un espace plein qui peut être occupé, et non une simple ligne devant être traversée. Cet espace frontalier et de transition, c’est le Endtimes, pour reprendre l’expression de Frank Kermode (1966), c’est-à-dire le Temps de la fin, espace narrativisé où l’étrange peut surgir et les évènements fantastiques ou inouïs, se multiplier. L’origine du Endtimes est, dans l’Apocalypse de Jean, la période de trois ans et demi au cours de laquelle la Bête est dite régner, règne qui précède les derniers jours du monde.

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Figure 2. L'antichambre du vaisseau et sa fenêtre d'interrogation

Dans Arrival, cet espace frontalier prend une forme précise, il se concrétise dans un lieu restreint, espace de contact aux propriétés inattendues. Très vite, les autorités militaires comprennent qu’il est possible de s’approcher de ces formes oblongues, voire même qu’un espace a été prévu pour qu’un contact soit établi. Quand on vient chercher Louise Banks, linguiste spécialisée dans les langues étrangères et la traduction, et Ian Donnely, un physicien (a theoretical physicist), l’espace frontalier est déjà établi. Il faut entrer dans le vaisseau par sa base, se hisser grâce à un monte-charge et pénétrer dans un couloir au bout duquel se trouve une surface vitrée. Au cœur de cette antichambre, les lois de la physique ne tiennent plus. Les plans communiquent à la manière d’un tableau d’Escher: le haut et le bas, le vertical et l’horizontal; les lois de la pesanteur sont neutralisées. C’est le signe que cet espace est frontalier; les réalités s’y interpénètrent, ce qui permettra aux échanges d’avoir lieu. Cet espace est aussi temporaire, il n’est disponible qu’un court instant à toutes les 18 heures, période requise vraisemblablement pour équilibrer la pression entre les deux univers.

Le mandat des scientifiques est simple. Pour le colonel Weber, la mission se résume en quelques mots: «Remember, we need answers as soon as possible. What do they want. Where are they from. Why they are here.» Que veulent-ils, d’où viennent-ils, pourquoi sont-ils là? Parvenir à répondre à ces questions requiert évidemment qu’une communication soit établie, qu’une forme de traduction puisse être opérée qui permettra que des questions soient posées et des réponses, comprises. C’est le rôle de Louise Banks, la linguiste: rendre la parole des autres compréhensible, assurer la transmission. Et tout passera par une surface vitrée à la limite d’une antichambre: une paroi transparente, une surface rectangulaire, comme un écran de cinéma ou d’ordinateur. Et c’est à travers cet écran qu’êtres humains et Heptapodes vont entreprendre de communiquer. Ils le feront d’abord par des mots énoncés. Mais les Heptapodes parlent dans des tons très bas, à la manière des baleines, et il est difficile de savoir comment leur langage est structuré, quelles unités discrètes en constituent la trame. Banks réalise très tôt que les paroles seules ne suffiront jamais à resémiotiser ce qui a été entendu en fonction d’un code quelconque et qu’il faut substituer l’écrit à la parole, afin de segmenter le flux des sons en unités discrètes. Elle apportera dès la deuxième rencontre un tableau blanc portatif, sur lequel elle écrira le mot «human», tout en prononçant les morphèmes correspondants. La réaction des Heptapodes sera immédiate. L’un des deux présents derrière l’écran produira un logogramme circulaire à l’aide d’une encre projetée par une tentacule.

L’écran de l’antichambre permet ainsi une communication entre les espèces, une série d’interrogations et de réponses. Nous nous retrouvons subrepticement au cœur d’une logique de l’écran. Selon les définitions traditionnelles du terme, l’écran remplit trois fonctions: il sert à protéger (dans ce cas-ci, de la réalité atmosphérique de l’écosystème des Heptapodes), à dissimuler (ce qui est hors cadre reste caché et demeurera impénétrable) et à présenter (le plan lui-même devient une surface d’inscription). L’écran sert ainsi à protéger, à dissimuler et à présenter. Comme le remarque Luc Vanchéri, l’écran représente un «véritable plan de séparation qui introduit entre une réalité donnée et le sujet qui lui est opposé une surface d’arrêt suffisante pour délimiter une zone d’exclusion du visible» (Vanchéri, 2013, p.10). De l’univers réel des Heptapodes nous ne verrons surtout que ce que l’écran permet de montrer. Mais ce cadre, pour limité qu’il soit, rendra possible les échanges. Il permettra l’ouverture à un monde de connaissances, monde quasi-infini, à la manière de la barre d’interrogation du moteur de recherche de Google. Il n’est pas inintéressant de remarquer d’ailleurs l’isomorphie entre la fenêtre d’interrogation de Google et l’écran de communication dans Arrival, établie sur des principes tels que le minimalisme, la transparence, la régularité formelle, la fonction première de la forme, etc. Ces traits partagés montrent bien que les choix de Villeneuve font entrer le film en résonance avec l’imaginaire contemporain et sa conception des interfaces, numériques ou non.

Langage et temps

La situation de crise initiée par l’arrivée des douze vaisseaux provoque, tel que prévu, une intensification de l’activité sémiotique. Il faut savoir ce que les Heptapodes veulent et, pour cela, il faut pouvoir les comprendre. Douze équipes se mettent au travail afin de déchiffrer le langage extraterrestre, de parvenir à décoder le fonctionnement des logogrammes. La majeure partie du film est consacrée à cette entreprise de déchiffrement, avec à la clé la fin du monde, provoquée par les tensions entre des états armés jusqu’aux dents et soucieux de ne pas se laisser déclasser dans le nouvel ordre mondial découlant de la présence extraterrestre.

Ces signes sont d’une nature inattendue, et ils requièrent pour leur traduction des hypothèses interprétatives fortes. C’est la seule façon de rendre lisible l’illisible. Pour David Adger, qui s’est intéressé à la dimension linguistique d’Arrival, il est évident que:

The Heptapod visual language is produced when one of the aliens emits a stream of dark, squid-like ink. The ink resolves mid-air into a circular shape, or whorl, with multiple curlicues, or tendrils, that interweave and twist away from the circumference. Each circular shape conveys an idea. These are termed logograms by Banks, and her team sets about analyzing them. They find that the orientation, shape, modulation, and direction of the tendrils convey the meaningful connections between the parts of a logogram and the idea that is being expressed. It is a purely visual grammar. (2018)

Un des aspects intéressants du film de Villeneuve est le sérieux avec lequel l’équipe de réalisation a traité le langage extraterrestre, proposant une grammaire purement visuelle, où chaque forme circulaire véhicule une idée. Une linguiste de l’Université McGill, Jessica Coon, spécialiste des langues mayas, a servi de consultante, de même que Christopher Wolfram, un pionnier dans le développement d’applications pratiques fondées sur le calcul computationnel3. Les logogrammes eux-mêmes ont été créés par l'artiste Martine Bertrand. L’objectif était bel et bien d’inventer un langage qui ne réponde à aucune forme connue, un langage qui repose sur des bases autres, dans ce cas-ci la non linéarité des phrases prononcées. Les logogrammes se présentent comme des formes circulaires, dont les bords sont garnis d’arabesques et de volutes, mais surtout des formes qui, en tant que cercles, n’ont ni début ni fin, ni même de sens prédéterminé de lecture, dans le sens des aiguilles d’un montre ou son contraire. Ils se donnent comme une totalité et ne dépendent pas du temps pour se structurer. C’est plutôt l’espace, en l’occurrence la surface de projection que constitue l’écran de l’antichambre, qu’ils exploitent. Or, qui dit énoncé affranchi de toute linéarité dit, du moins dans Arrival, pensée libérée du temps qui en est la contrainte fondamentale.

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Figure 3. Exemple d'écriture des Heptapodes

L’hypothèse de Worf et de Sapir4, présentée dans le film, suggère que le langage construit la façon dont nous pensons et percevons le monde. Le langage n’a pas qu’un impact culturel sur le sujet, il a aussi un impact cognitif. Il délimite notre façon de penser. Nos représentations mentales dépendent des catégories linguistiques et sémantiques à l’œuvre. Si nous n’avons que deux mots pour dire la neige, plutôt que dix, ou encore aucun mot pour distinguer le bleu du gris, ces distinctions ne peuvent pas nous apparaître. Cette thèse est portée à l’extrême dans Arrival. Quand Louise Banks apprend à maitriser cette langue, son esprit s’ouvre graduellement à une nouvelle réalité. Puisque le langage circulaire des Heptapodes repose sur un temps non-linéaire, sa maitrise même balbutiante libère la néophyte de ses attaches temporelles.

Dotée d’un savoir nouveau, d’une connaissance du temps radicale, car détachée en quelque sorte de sa ligne, Louise Banks parvient à circuler dans l’espace de sa propre vie. Et, en tant que spectateur, on comprend que les scènes d’ouverture du film, où l’on voit sa fille naître, grandir, puis mourir adolescente d’une rare forme de cancer, ne sont pas des analepses, mais au contraire des prolepses, des flashfowards. Dilemme éthique s’il en est un, Louise choisit, même en toute connaissance de cause, d’avoir son enfant, elle accepte de vivre sa vie comme elle se présente, comprenant bien que d’être libérée de la linéarité du temps n’induit pas pour autant un affranchissement des vicissitudes de la vie. La dimension tragique du film ne vient pas du monde qui sera détruit, mais plutôt de la vie d’une enfant qui sera trop vite écourtée. Les plans collectif et individuel sont ainsi mis en tension. Ce qui sauve le monde ne sauve pas l’individu.

J’ai déjà longuement exploité, dans L’imaginaire de la fin, l’argument d’un lien étroit entre des langages devenus illisibles et les perturbations liées à une fin du monde, les premiers étant des symptômes des secondes. La situation présentée dans Arrival n’est pas différente, si ce n’est que la variation présentée repose sur le fait que ce langage n’est pas illisible à la suite d’une détérioration ou d’une transformation à caractère transcendant, mais en raison de son origine. C’est un langage autre, issu d’une réalité autre, d’une construction étrangère du monde et de son expérience. Or, l’incapacité à le comprendre et à le rendre signifiant risque de causer tout de même la destruction du monde. Les douze équipes doivent travailler de pair. Or, dès l’instant où un message transmis donne lieu à des interprétations contradictoires, l’unité des nations s’effrite. À la question posée par Louise sur leurs intentions, les Heptapodes répondent «offer weapon». L’ambiguïté du message vient de son caractère synthétique. Veulent-ils offrir des armes, se voir offrir des armes, en échanger, s’en servir («use weapon»), comme le général Shang de l’armée chinoise semble le croire? Quoi qu’il en soit, ce syntagme est le point de départ d’une dislocation de la coalition. La Chine déclare la guerre aux extraterrestres. D’autres pays suivent. Les conséquences ne pourront qu’être désastreuses.

C’est là que la capacité de Louise Banks de se déplacer dans le temps de sa propre vie la conduit à jouer un rôle de premier plan dans la sauvegarde du monde. C’est par elle que la fin du monde est évitée, par elle que le général Shang revient sur sa décision d’attaquer le vaisseau sur son territoire. Affranchie des contraintes temporelles, elle parvient à rejoindre le général en lui transmettant un message que lui seul connaît et qu’il lui a confié dans un avenir immédiat. Ce message le convainc de cesser toute agression envers les extraterrestres et de revenir à la coalition. C’est un cas où l’avenir est garant du passé, plutôt que le contraire.

Unstuck in time

Grâce à sa maitrise du langage des Heptapodes, Louis Banks s’est libérée de l’emprise du temps. À une écriture non-linéaire, déchronologisée, répond une conscience détemporalisée, capable de vivre tous les instants de sa vie en même temps, le passé, le présent et l’avenir. Elle est dans le triple présent, tel que décrit par Paul Ricœur (1983, p.24 et passim), dans le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir, sans que son attention ne soit elle-même ancrée dans un temps précis. Le présent du présent n’est plus le temps de référence, il n’est plus le point de vue à partir duquel s’ouvrir à la multitude des perceptions et des souvenirs, il n’est qu’un point parmi d’autres. L’horizon n’est plus une ligne qui s’étend à l’infini, elle trace plutôt un cercle qui rejoue en boucle une séquence d’événements. En fait, il serait plus juste de dire que ce n’est pas un triple présent, mais un présent détriplé et délinéarisé. La continuité des temps n’est plus assurée par la conscience du sujet, mais par sa présence réelle à tous les moments de ce temps.

Un tel jeu sur le temps, qui offre un portrait exacerbé des désordres temporels au cœur de l’imaginaire de la fin, n’est pas unique à Arrival. Le premier personnage à être de cette façon détaché de la trame temporelle est nul autre que le pauvre Billy Pilgrim du roman Slaughterhouse Five de Kurt Vonnegut Jr. Dans ce roman de 1969, dont le point d’orgue est le bombardement de Dresde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le personnage principal se désamarre du temps et vit toute sa vie en même temps. «Listen», nous explique le narrateur, 

Listen:
Billy Pilgrim has come unstuck in time.
Billy has gone to sleep a senile widower and awakened on his wedding day. He has walked through a door in 1955 and come out one in 1941. He has gone back through that door to find himself in 1963. He has seen his birth and death many times, he says, and pays random visits to all the events in between.
 (Vonnegut, 1994, p.27)

Billy Pilgrim déclare à qui veut l’entendre qu’il a été kidnappé par des extraterrestres en 1967. Le vaisseau venait de la planète Tralfamadore et il y a été transporté, où il séjourne dans un zoo, comme une vulgaire bête offerte en spectacle. En fait, à partir de son abduction par les Tralfamadoriens, il s’est retrouvé «unstuck in time», détaché de la ligne du temps et capable de circuler dans les divers moments de sa vie, entre son mariage avec la fille d’un riche optométriste, l’accident d’avion dont il est le seul survivant, sa présence à Dresde au moment du bombardement américain, véritable apocalypse. Tous ces moments coexistent et communiquent sans heurts.

All moments, past, present, and future, always have existed, always will exist. The Tralfamadorians can look at all the different moments just the way we can look at a stretch of the Rocky Mountains, for instance. They can see how permanent all the moments are, and they can look at any moment that interests them. (Ibid.)

Les Tralfamadoriens habitent la quatrième dimension et l’abduction de Billy Pilgrim lui permet de décrocher de la ligne du temps et de se déplacer comme il le veut dans sa vie. Il multiplie ainsi les allers-retours entre sa cage sur Tralfamadore, sa vie à Ilium dans les années 1950, son emprisonnement, le bombardement de Dresde et sa propre mort. Billy Pilgrim ne fait pas que ressasser ses souvenirs ou se projeter dans les points d’ancrage d’un triple présent, il les habite littéralement, passant du passé au futur comme s’ils étaient des formes équivalentes du présent. La dialectique de l’attention, de l’attente et du rappel, au cœur de l’expérience humaine du temps, devient caduque, puisque tous les temps cohabitent sur le mode de la présence. J’avancerai, au risque de me répéter, que «La situation de Billy Pilgrim tue littéralement le temps, substituant à la modalité de la consécution, qui en est le fondement, celle de la coprésence et de la concomitance. […] La crise ne s’y résorbe pas, parce qu’elle peut à tout moment être rejouée, réactualisée. Elle est vécue comme un état permanent, toujours identique à lui-même car réexpérimenté chaque fois au premier degré.» (Gervais, op. cit., p.32)

On le comprend mieux, «to be unstuck in time» n’est pas une forme de répétition. Dans une répétition, on se retrouve dans une boucle qui ne se referme pas, où l’on revit encore et encore les mêmes événements. Tout se répète. On est détaché du cours normal du temps, tout en restant dans sa linéarité fondamentale. La ligne du temps se replie sur elle-même et repasse sans cesse dans le même sillon. Se désamarrer du temps, comme le font Billy Pilgrim et Louise Banks, implique une tout autre logique. Ces personnages ne sont plus dans un temps qui se répète, ils parviennent à se déplacer dans un temps, qui n’est plus une ligne, mais bien plutôt un espace complexe, tel un palais de mémoire que l’on peut habiter. En fait, pour utiliser une autre métaphore, c’est comme si les divers moments de leur vie ne se déployaient plus selon une ligne, qui est la ligne du discours et du récit, l’organisation linéaire de leur concaténation sur un plan, mais selon les principes d’une base de données, dont tous les éléments, une fois catalogués, peuvent être sollicités selon les besoins.

Depuis longtemps, le roman et le cinéma nous ont appris à exploiter les déplacements temporels, via des analepses et des prolepses, le regard du narrateur ou de la caméra explorant, selon les contraintes de la mise en intrigue, les divers temps d’une situation. L’arrière-plan historique ou existentiel des personnages, les conséquences de leurs gestes nous sont ainsi rendues disponibles pour améliorer notre compréhension de leur destin. La déprise du temps radicalise cette situation, car ce n’est plus simplement le regard qui se déplace, c’est le personnage lui-même qui le fait, et à répétition. Son regard est devenu corps. Il n’habite pas en pensée les moments de sa vie, il les réintègre au premier degré, il les vit tout en même temps, réalisant en quelque sorte le programme de la nouvelle de Borges, «Funes ou la mémoire»5, où l’infortuné Ireneo Funes se voir doté d’une mémoire phénoménale à la suite d’un accident, mémoire qui lui ouvre la porte à une connaissance approfondie de sa vie, de ses perceptions, de ses pensées, etc.

Billy Pilgrim et Louise Banks, séparés par plus de quarante-cinq ans, connaissent un même destin, celui de se transformer en êtres désarrimés, flottant dans le temps. À les suivre, on saisit que, quand le monde est sur le point d’être détruit, les personnages qui ne peuvent plus l’habiter se réfugient dans le temps, dans le temps de leur propre vie. Le continuum espace-temps est rompu, dispersé dans une collection de données. Mais, il est conservé, la collection permettant justement d’en préserver les éléments à des fins d’exposition.

Cette parcellisation du temps apparaît de façon récurrente dans les fictions récentes à caractère apocalyptique. Pensons, au cinéma, à Mr Nobody de Jaco Van Dormael (2009). Nemo Nobody, comme Billy Pilgrim, circule librement dans les divers moments de sa vie, marquée par un ensemble de dilemmes qui en complexifient le déroulement. Il revit le moment où il a dû choisir entre son père et sa mère, et suit chacun des choix possibles jusqu’à leur conclusion. Insterstellar de Christopher Nolan (2014) exploite aussi un temps délinéarisé. Cherchant à sauver la terre qui se meurt, le vaisseau Endurance fait route vers Saturne et passe par un trou de ver («worm hole»). Après que l’équipage ait visité quelques planètes à la recherche d’un monde habitable, l’un de ses membres, Cooper, plonge dans un trou noir et se retrouve dans un espace paradoxal, un tesseract, qui est l’analogue quadridimensionnel d’un cube. La quatrième dimension recouvre évidemment le temps; et Cooper accède à travers les parois du tesseract à des moments de sa propre vie, qu’il tente de faire dévier, sans grand succès. On peut penser aussi à des films tels que Donnie Darko de Richard Kelly (2001), 12 Monkeys de Terry Gilliam (1995), qui est une reprise de La jetée de Chris Marker (1962), et à d’autres encore qui exploitent des procédés de décollement temporel. Ils font de cette fuite dans le temps un outil majeur de mise en récit à caractère apocalyptique.

Un imaginaire présentiste

En quoi Arrival participe-t-il d’un imaginaire de la fin contemporain? D’une part, le film le fait par son immersion dans un imaginaire technologique, présent de façon explicite tout autant qu’implicite. Les ordinateurs et les écrans ne manquent pas dans ce film, le camp militaire installé aux abords du vaisseau regorge d’appareils et de dispositifs; mais ce sont surtout des éléments plus discrets qui évoquent par leur forme même des lieux communs de notre réalité technologique. Il y a ainsi le langage iconique utilisé par les Heptapodes et qui entre parfaitement en résonance avec la surdétermination du rôle de l’image en culture de l’écran; l’espace de projection et de communication dans l’antichambre de la coque qui rappelle la fenêtre d’interrogation du moteur de recherche Google; et encore l’émiettement du temps en éléments disjoints et pourtant interreliés, à la manière d’entrées structurées dans une base de données. Ce sont des exemples de convergence formelle, établis sur des traits aisément identifiables.

D’autre part, le film y participe par sa mise en scène d’un présent aux contours brouillés. L’imaginaire de la fin contemporain est essentiellement présentiste. Qu’elles soient individuelles ou sociales, les situations de crise se vivent toujours au présent qui apparaît, de ce fait, singulier. Les crises sont toujours perçues et vécues comme exceptionnelles, uniques et spécifiques. Elles imposent leur vérité, qui apparaît d’emblée comme un indépassable horizon. Elles donnent au présent une importance primordiale, ce qui répond parfaitement aux définitions du présentisme, tel qu’il apparait au cœur du régime contemporain d’historicité. On a vu apparaître, tout au long du siècle dernier, un tel régime qui s’oppose à un régime moderne. Pour François Hartog, un régime d’historicité est «un cadre de pensée de longue durée, une respiration, une rythmique, un ordre du temps, qui permet et qui interdit de penser certaines choses.» (1995, p.1222) Il est un filtre par lequel nous effectuons nos projections et interprétations, c’est-à-dire un interprétant à portée générale et d’une grande efficacité qui conditionne le déroulement de nos processus imaginaires. On ne comprend le monde, on ne se le représente qu’en fonction d’une conception préalable qui en sert de canevas. Or, le régime qui nous est propre surdétermine le rôle du présent, mais d’un présent essentiellement anxiogène, dont le mode fondamental de connaissance serait mélancolique.

L’imaginaire de la fin est un révélateur intéressant de ce passage à un régime contemporain, car ce changement de paradigme en transforme de façon importante les manifestations. La principale modification est le fait qu’en régime contemporain, la fin n’apparaît plus comme un principe de cohérence, mais comme une manifestation du chaos ou du désordre. La fin n’y est plus une conclusion, mais une interruption; elle n’ouvre plus à une transcendance, mais à une fuite ou à une répétition stérile. De linéaire, l’imaginaire de la fin devient interruptif, et l’arc entier qui nous fait tendre du passé vers l’avenir se disloque, le présent occupant l’espace entier de la conscience. La fin devient une impasse, et la transition qui fait passer à un monde nouveau et rénové s’enraie.

Dans les définitions du présentisme, deux types de pression sont dites affecter le présent. Celui-ci peut imploser comme il peut éclater. C’est la compression ou l’extension. Or, ces forces déterminent deux variantes de l’imaginaire de la fin contemporain. Paul Zawadzki suggère cette distinction entre les deux types de pression sur le présent. L’argument n’est pas présenté de façon explicite, il apparaît dans une note, mais la distinction s’impose parce que sa conception à lui du présent ne correspond pas tout à fait à celle mise de l’avant par Hartog. Ainsi, après avoir déclaré que «le présentisme comme compression peut être analysé comme l’aboutissement d’une "accélération du temps" produite par les impératifs de l’économie moderne (2008, p.119), Zawadzki ajoute que cette notion n’est pas prise «dans le sens que lui donne F. Hartog qui y voit davantage l’extension" d’un présent qui génère au jour le jour, le passé et le futur dont il a, jour après jour, besoin"» (Ibid.). On voit se profiler dans cette remarque les deux conceptions du présentisme suggérée ici, de compression ou d’extension. Elles dépendent de la représentation que nous nous faisons du temps et de la perception de son passage ou de sa présence. Si leur contenu reste flou, et peut à tout instant s’intervertir, elles n’en apparaissent pas moins comme les limites d’un spectre qui couvre l’ensemble des manières dont nous construisons notre présent et sa réalité, lorsque celle-ci s’impose comme une situation de crise.

Le présentisme de compression voit à l’implosion du présent, écrasé de toutes parts par des forces qui en menacent l’intégrité. Cette implosion donne lieu à un imaginaire de la fin marqué par des phénomènes d’interruption et de répétition. Un film tel que Lost Highway de David Lynch (1997), par ce ruban de Moebius qu’il construit où deux univers se complètent et se répondent, malgré l’impossibilité d’une telle communication, représente l’exemple par excellence des phénomènes de répétition. Melancholia de Lars von Trier (2011) illustre quant à lui les effets de l’interruption. La fin du monde qui y est mise en scène ne valide rien et ne s’inscrit dans aucun métarécit assurant la cohérence du monde. La fin ne s’y ouvre plus sur aucune transcendance permettant de rétablir l’ordre. Au contraire, cette fin se retourne sur elle-même, créant un pli dont on ne peut s’extraire ou alors dont on est toujours déjà exclus.

Le présentisme d’extension, quant à lui, voit à l’éclatement du présent. Celui-ci en vient à s’étendre, à occuper tout le champ de la conscience, et cela jusqu’à l’éclatement, quand l’extension du temps surpasse la capacité de rétention de ce tissu, de cette sphère qu’est l’actualité. Le temps se délinéarise, il s’émiette et ses particules peuvent être consultées comme des données réparties dans une base de connaissances, que ce soit celle d’une vie ou d’une histoire. Le présent devient paradoxalement le seul temps habité, car tout est devenu du présent. Le passé, le présent et l’avenir ne sont plus qu’un seul et même temps. Cette extension maximale donne lieu à un imaginaire de la fin marqué par des phénomènes de déprise ou d’arrachement temporel. Arrival en est l’exemple-type, et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de le décrire ici.

Ces deux variantes de l’imaginaire de la fin contemporain se rejoignent dans l’exploration d’un présent qui s’impose comme un pur moment de crise, qu’il se décline sur le mode de la répétition ou de la déprise. Ces variantes s’inscrivent sans peine dans un corpus cinématographique qui fait du motif de la fin une donnée essentielle de notre époque. Récits post apocalyptiques, films de zombies et de catastrophes, apocalypses intimes, attentats nucléaires ou terroristes, pestes, invasions, etc., leur coprésence témoigne d’un imaginaire crépusculaire, où l’insistance à représenter la fin du monde est la seule façon de redonner un semblant de cohérence à ce qui en semble manifestement dépourvu.

  • 1. J’ai exploré cette question de façon soutenue dans L’imaginaire de la fin: temps, mots et signes. Logiques de l’imaginaire. Tome III, Montréal, Le Quartanier, 2009, ainsi que dans «Un imaginaire de la fin cinématographique: entre le littéral et l’allégorique», Frontières, Vol. 25, no 2, 2013, p.109-120. Je reprends ici la perspective développée dans ces deux textes.
  • 2. Je renvoie évidemment au régime d’historicité décrit par François Hartog dans Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003.
  • 3. Comme le signale Adger, les logogrammes ont été envoyés à Christopher Wolfram, qui les a analysés à l'aide de ses logiciels d’analyse. Ils ont également été envoyés à Coon qui a appliqué des techniques d'analyse linguistique, annotant les logogrammes comme s'il s'agissait d'un système d'écriture non déchiffré: «Coon’s annotated versions can be seen scattered around on tables and pinned up on the walls of the field laboratory depicted in the film. The programs Wolfram developed to analyze the logograms are running in real time on computers dotted around the lab. The two approaches converge in an iPad-like device that Banks uses to construct her own logograms in order to communicate with the Heptapods.» (Ibid.)
  • 4. Notons tout de même que ce n’est pas une hypothèse en tant que telle, au sens où elle aurait été formulée par les deux anthropologues, il s’agit tout au plus d’une synthèse de leur pensée réunie.
  • 5. La nouvelle est intégrée au recueil Fictions (Paris, Gallimard, 1983, p.127-136).
Pour citer: 

Gervais, B. (2022). "Unstuck in Time": L’arrachement au temps dans l’imaginaire de la fin contemporain. Arrival de Denis Villeneuve [Article d'un cahier]. Monitorer le présent. L'écran à l'heure du soupçon. (2).

Bibliographie: 
Article d'un cahier

The future has already arrived. It's just not evenly distributed. 
— William Gibson.

Gervais, Bertrand
Article d'un cahier

La culture de l’écran est le résultat de la convergence d’une multiplication d’images, d’écrans et de caméras.

Gervais, Bertrand
Article d'un cahier

Dans son roman de 2006, J’habite dans la télévision, Chloé Delaume se met en scène dans une expérience surprenante, regardant sans discontinuer la télévision durant vingt-deux mois.

Gervais, Bertrand
Article d'un cahier

Que change le numérique à nos rituels? Que devient la confession, par exemple, à partir du moment où elle ne se déroule plus dans un confessionnal, mais sur un site web, au vu et au su de tous?

Gervais, Bertrand