Oeuvre hypermédiatique
Performance
Pièce de théâtre
Screen Save Her
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Avatar Body Collision [Helen Varley Jamieson, Vicki Smith, Karla Ptacek et Leena Saarinen] est un collectif de performance théâtrale cyberféministe (Seu, 2020) qui utilise des programmes informatiques de socialisation ou des mondes virtuels persistants, tels que des environnements de jeux ou des métavers comme Second Life, pour performer en temps réel et en synchronicité sur Internet. S’intéressant au caractère liminal du cyberespace et des technologies de l’information, l’Avatar Body Collision explore plus spécifiquement les nouvelles dynamiques de production et de réception au sein d’une architecture distribuée, pour produire une forme de théâtre virtuel que le collectif a baptisé de «cyberformance» (néologisme issu de la troncation de «cybernétique» et l’ajout de «performance»). Rappelant le punk et l’avant-garde, la cyberformance se distingue des autres types de performances numériques par le fait qu’il n’y aucune règle en place pour laisser place à la prise de risque et à l’expérimentation. Il est dit que la cyberformance est, par nature, toujours changeante, voire imprévisible. Comme l’indique Helen Varley Jamieson : «There is a ‘DIY’ attitude, a sense of fun and playfulness, risk-taking and experimentation» (Jamieson, 2008: 37). Ce sont le public et les technologies de l’information qui surdéterminent l’œuvre en temps réel.Dans l’œuvre intitulée Screen Save Her (mai 2002), la cyberformance a été réalisée en combinant de manière synchronique des actions dans le monde virtuel du Palace [Jim Bumgardner], puis sur une scène en présentiel au 12-12 Time-based Media Festival (Cardiff, Royaume-Uni) et au Riverside Studios (Londres, Royaume-Uni). L’histoire de Screen Save Her se situe dans un monde futuriste où s’est produit un vol de gènes visant à transformer l’ADN du génome humain. La protagoniste principale (Karla Ptacek) un être cybernétique inspirée par le cyborg de Donna Haraway, travaille comme représente des ventes pour une corporation multinationale prônant l’augmentation de l’être vivant par des moyens artificiels (Ptacek, 2003: 183; Jamieson, 2008: 53). Le tout fut performé sur une multitude de couches d’action, entre ce qui se produisait sur scène et le cyberespace du Palace, créant une relation de «push and pull» entre les différentes protagonistes, l’auditoire et les technologies : «[…] Palace avatars, surveillance-like web cam images, and the on-stage performer constantly disrupting and confusing who was controlling who» (Ptacek, 2003: 180-192 ; Jamieson, 2008: 55). Alors que toutes les membres du collectif se situaient à différents endroits à travers le monde, ce sont des avatars ou des imageries de webcam qui véhiculaient leur présence au sein du Palace. Seule Ptacek se trouvait à la fois en ligne et sur scène, dans «l’espace proximal» (le lieu actuel de présentation) au contrôle d’un ordinateur bien visible, en chair et en os (Ptacek, 2003: 183; Jamieson, 2008: 53). La présence des technologies (caméras web, programme logiciel, ordinateurs) est ici indispensable à la mise en scène et sert à réaffirmer que le corps actuel et le corps médiatisé ne font qu’un.Entre les animations des avatars sur le Palace, les actions transmises à travers les imageries de caméra web et la performance théâtrale de Ptacek, l’ensemble du spectacle avait des allures de vaudeville, dans l’esprit du Cabaret Voltaire et des salons Dada (Jamieson, 2008: 23). Un assemblage de «couches stylistiques» et aussi de «sites d’actions superposés» de provenances diverses (38). Chacun des trois espaces (le Palace, les caméras web, la scène) formait, à lui seul, un monde unique dont l’expérience pouvait varier selon la position du public dans l’environnement : «Each is a distinct world, yet characters, plot-lines and ideas move between these sites» (Ibid.). À l’image d’une grande toile reliant, dans un ensemble hétéroclite, des mondes distincts, avec leurs personnages, leurs intrigues et leurs idées, la mise en scène pouvait générer une forte perturbation ou un sentiment de confusion chez l’auditoire, qui devait naviguer entre ces trois mondes (Ibid.). Cet état s’ajoutait à l’ambiance générale de méfiance envers le jeu théâtral, alors que la distinction entre ce qui était réel et virtuel, vrai et simulé, devenait de plus en plus difficile à décoder.

Cyberformance invites the exploration of the surreal imagination and alternative realities, in contrast to the current general trend of ‘virtual reality’ to mimic or re-present reality which privileges simulation over imagination (such as the construction of roads and shopping malls in Second Life and the existence of ‘gravity’ in Sony PS3 Home) (58).
Relation au projet: 

L’inspiration de Screen Save Her repose principalement sur les théories de Murray Gell-Mann et son «système complexe adaptatif», avec comme intention de générer un système pour le jeu théâtral qui serait co-déterminé par les personnes et les machines, tout en étant autonome : «[Screen Save Her was inspired by] his proposition that chains of relationships learn or evolve in a similar way, to living systems and that these systems have a “tendency to generate other such systems”» (Gell-Mann, 1995: 19 ; Ptacek, 2003: 183). L’intention étant de générer un événement performatif qui puisse s’apparenter à un organisme vivant, qui évolue de lui-même (Ptacek, 2003: 182). Cela voudrait dire que la structure de jeu fonctionnerait avec un système complexe à la frontière du «cyborgique» (Ibid.). «Screen Save Her attempted to create “a playmaking system that would produce a performance event able to adapt and mutate in run-time” with the comic-book techno-noir narrative secondary to the “complex system” of the work» (Ptacek, 2003: 182; Jamieson, 2008: 53). Comme le fait remarquer Ptacek, l’élaboration de ce système est au cœur de la démarche artistique, alors que l’écriture du contenu narratif de la pièce est quant à elle secondaire (Ptacek, 2003: 182). L’œuvre est essentiellement incomplète, en étant abordée comme «un processus inachevé, évolutif et participatif qui prend forme en temps réel» (Jamieson, 2008: 228-229). Un processus inspiré par la notion de «produsage» de Axel Bruns, qui fait état de l’imminente convergence de l’artiste et du spectateur dans les médias sociaux, comme Flickr et YouTube (Bruns, 2008: 235; Jamieson, 2008: 70). C’est le système de jeu cyborgien, dont font partie le public et les technologies, qui surdétermine l’œuvre et non pas la trame narrative. Bien que la performance théâtrale se déroule autour d’un ensemble de personnages séparés par des mondes distincts, avec leurs intrigues et leurs idées, l’accent est mis sur les mécanismes de production et de réception de l’œuvre, sur l’influence du réseau de connexions. L’œuvre reste un processus inachevé en puissance, dont la forme se matérialise en temps réel par le biais d’une approche participative (Jamieson, 2008: 228-229). En fin de compte, ce ne sont pas les autrices qui sont les maîtresses d’œuvre mais bien le système de jeu cyborgien, dont le niveau d’autonomie est déterminé par l’entremise des interventions de l’auditoire et le traitement des machines. En ce sens, le rôle des autrices est d’anticiper le déroulement de l’œuvre, en émettant les grandes lignes directrices du projet, sans toutefois déterminer ce que comporte exactement le processus ou ce qui va en résulter. Les autrices naviguent entre les failles possibles des technologies et les interventions imprévisibles de l’auditoire, tandis que ce dernier se perd dans les méandres stylistiques : «[…]constantly disrupting and confusing who was controlling who». (Ptacek, 2003: 180-192; Jamieson, 2008: 55) Ceci brouille du même coup la supposée transparence de la plateforme sur laquelle s’ancre la cyberformance.La tentative d’épuisement proposée dans le cadre de cette analyse se manifesterait autour de ce principe.

Discours / Notes: 

Mention de source:
Image 1. Avatar Body Collision, Screen Save Her, 2002. <http://www.avatarbodycollision.org/>
Image 2. Avatar Body Collision,
Rehearsal JPEG from Saarinen’s desktop showing four webcam windows, the Palace stage (background) with three avatars, the ‘Screen save her’ script, a sound directory and the iVisit chat window, 2002. <https://doi.org/10.1076/digc.14.3.180.27873>
Image 3.
Avatar Body Collision, Selection of ‘Avs’ from ‘Screen save her’. 2002. <https://doi.org/10.1076/digc.14.3.180.27873>
Image 4. Avatar Body Collision, Screen Save Her, 2002. <http://www.avatarbodycollision.org/>
Image 5. Avatar Body Collision, Helen Varley Jamieson. <http://www.avatarbodycollision.org/>
Image 6. Avatar Body Collision, Karla Ptacek. <http://www.avatarbodycollision.org/>
Image 7. Avatar Body Collision, Leena Saarinen. <http://www.avatarbodycollision.org/>
Image 8. Avatar Body Collision, Vicki Smith. <http://www.avatarbodycollision.org/>