La société de l'information : analyse et critique d'un thème

Date de publication: 
12 mars 2022

Le terme de société de l’information est vague, pour ne pas dire controversé, puisqu’il ne fait actuellement l’objet d’aucun consensus clair et univoque dans les milieux universitaires. Il n’empêche qu’un grand nombre de chercheurs, d’essayistes et d’analystes en tous genres l’utilisent régulièrement afin de décrire, d’analyser et de prédire les divers changements causés par l’informatisation des sociétés industrielles avancées. À lui seul, ce constat devrait nous pousser à évaluer la validité et la pertinence de ce terme, en examinant de près les imaginaires auxquels il fait appel. Dans le champ des sciences sociales, la société de l’information désigne une période historique débutant approximativement au milieu du XXe siècle et s’étendant jusqu’à nos jours. Nombre de spécialistes estiment que nous aurions assisté, durant cette période, à un bouleversement dont les répercussions seraient aussi profondes et significatives que celles héritées des révolutions agricole et industrielle (Castells, 1996-8).

Derrière ce ton emphatique, on retrouve l’idée que les technologies de l’information et de la communication permettraient «de transcender les barrières du temps, de la distance et du lieu dans le cadre de nos échanges interpersonnels, ainsi que les limites et les contraintes inhérentes aux capacités humaines quant au traitement de l’information et à la prise de décision (Albert et Papp, 1997: 4. [traduction libre])»[1]. Dans la plupart des occurrences, il est conventionnellement admis que l’informatisation des sociétés industrielles avancées aurait marqué une rupture vis-à-vis de l’organisation du travail: un postulat qui s’accompagne souvent d’arguments techniques quant au caractère ubiquitaire des réseaux informatiques. Afin de nommer ce changement de société, une myriade de termes connexes a également fait son apparition dans le champ des sciences sociales: l’économie de la connaissance (Machlup, 1962, 1980-4; Drucker, 1969), la société post-industrielle (Touraine, 1969; Bell, 1973), la révolution de l’information (Lamberton, 1974), l’économie de l’information (Porat, 1977), la société en réseau (Castells, 1996-8), le capitalisme en réseau (Boltanski et Chiapello, 1999), ou encore le capitalisme informationnel (Cohen, 2019) font partie de cette liste en constante expansion.

À notre sens, le groupe de recherche Archiver le présent s’est noué autour d’une contextualisation de ce type, sans pour autant la problématiser explicitement. Dans son texte de présentation, on peut notamment lire ceci: «Le numérique donne […] au quotidien une présence; il nous le révèle, comme il n’a jamais pu l’être auparavant. Mais il nous l’occulte aussi, par l’accumulation même de données qui posent la question de leur collecte, plus ou moins automatisée, transparente et volontaire par les "usagers" qui les produisent, et de leur exploitation (Gervais, Lalonde et Saemmler, 2022)». C’est la raison pour laquelle il semble nécessaire d’évaluer les forces et les faiblesses de ce thème et les cadres théoriques qui s’y rapportent. À dessein, cet article propose une investigation de cette nature, en s’appuyant sur une lecture croisée des travaux du sociologue Frank Webster (1995), de l’historien James R. Beniger (1986) et du scientifique de l’information Lars Qvortrup (1993). À l’issue de cette démonstration, il apparaîtra que la société de l’information prend racine dans une crise du contrôle générée par les sociétés industrielles avancées, que la notion d’information a des contours flous et qu’elle peut rapidement devenir problématique si elle n’est pas adéquatement contextualisée, et enfin que l’informatisation des sociétés industrielles avancées n’aboutira pas forcément au «village planétaire (McLuhan et Fiore, 1967)» ou à toute autre forme de syncrétisme[2]. En outre, l’analyse proposée se double d’un constat: la société de l’information n’est ni un concept sociologique, ni même un concept historique. Il s’agit, tout au plus, d’un thème qui s’est largement répandu dans les publications universitaires, et a fortiori dans la presse généraliste, à compter des années 1960-70 (Crawford, 1983). La section qui suit tâche d’en définir les contours et les axes structurants.

 

Naissance d’un thème

À en croire le sociologue Frank Webster —auteur de l’ouvrage de référence Theories of the Information Society (2014 [1995])—, la littérature portant sur la société de l’information aurait essentiellement connu trois phases. La première se situe entre la fin des années 1970 et le début des années 1980[3]. Elle coïncide grossièrement avec la commercialisation des premiers ordinateurs personnels et l’essor de la microélectronique. Durant cette décennie, les avancées technologiques entraînent de nombreuses spéculations. Plusieurs commentateurs déclarent notamment qu’une société post-industrielle serait sur le point de naître et que son économie sera principalement axée sur les flux d’information, et non plus sur la vente de ressources et de biens matériels. La deuxième phase débute au milieu des années 1990: une période durant laquelle de nombreux commentateurs estiment que la fusion des technologies de l’information et de la communication serait en train de nous faire basculer vers une société qui sera, une fois de plus, radicalement nouvelle. La croissance rapide du web suscite alors le fantasme d’une «connectivité sans lieu» (Connors, 1993) — l’usager pouvant être en contact partout et en tout temps avec les réseaux informatiques et leurs flux d’information. Enfin, la troisième phase commence au milieu des années 2000, avec l’adoption des médias socionumériques (Facebook, Twitter, etc.) et la commercialisation des téléphones intelligents, des ordinateurs portables et d’autres technologies facilitant l’accès aux dispositifs numériques. Derrière cette façade ludique, plusieurs chercheurs se mettent alors à sérieusement critiquer les enjeux relatifs à la collecte des données personnelles, ainsi que le profilage élaboré par certaines entreprises à des fins publicitaires. Selon les chercheurs Alistair Black et Dave Muddiman (2007), cette dernière phase suscite une forme d’incertitude quant à la pertinence de ce thème en sciences sociales:

For some, the contemporary information society and its positive consequences are taken for granted; for others it is a contested concept which requires detailed investigation. The information society debate is comprised of two basic questions. The first is ethical: to what extent, individually or collectively, are the information and communication technologies that have inspired the information society idea beneficial or damaging? The second theme is concerned with the existence of an information society: is it a reality or an illusion? (Black et Muddiman, 2007: 3)

À plusieurs reprises, Webster pondère également l’usage de ce terme. Il souligne notamment que les technologies ayant retenu l'attention des chercheurs ont considérablement évoluées au fil du temps: si certaines d’entre elles ont été rapidement dépassées (p. ex. les disques compacts), d'autres ont en revanche été prématurément saluées comme marquant une innovation de rupture (p. ex. les ordinateurs centraux). Dans cette seconde catégorie, Webster mentionne la télévision par câble et par satellite, les jeux vidéo, les ordinateurs personnels, les services d'information en ligne, les ordinateurs portables, la communication assistée par ordinateur, le web et les téléphones intelligents. Or, face à la diversité des technologies à l’étude, plusieurs problèmes d’ordre méthodologique font inévitablement surface. Premièrement, les définitions retenues diffèrent grandement en fonction, d’une part, des technologies à l’étude, et d’autre part, de l’adhésion technologique propre à chaque région, pays ou continent. Pour cause, l’informatisation ne s’est pas toujours déroulée au même moment, au même endroit, de la même manière et pour les mêmes raisons. Cette instabilité sur les plans de la définition et de la périodisation s’accompagne souvent d’un biais de généralisation abusive quant à la caractérisation des changements étudiés. À ceci s’ajoute un autre biais interprétatif, tout aussi répandu, soit l’idée que l’accroissement de la quantité d’informations disponibles induirait de facto un changement de société. Comme le remarque Webster, cette thèse est éminemment contestable, en ceci qu’elle participe d’une forme de déterminisme technologique et qu’elle s’appuie, par-dessus le marché, sur un raisonnement fallacieux:

[…] what these definitions share is the conviction that quantitative changes in information are bringing into being a qualitatively new sort of social system, the Information Society. In this way each definition reasons in much the same way: there is more information nowadays, therefore we have an Information Society. As we shall see, there are serious difficulties with this ex post facto reasoning that argues a cause from a conclusion (there is more information about, this therefore brings about an Information Society). (Webster, 2014: 10)

Ce point a également été soulevé par le philosophe Christopher T. May dans son livre The Information Society: A Sceptical View (2002). Selon lui, ce thème se serait structuré autour de quatre postulats implicites: premièrement, l’idée que l’informatisation serait à l’origine d’une révolution sociale; deuxièmement, le fait que l’organisation des relations économiques en aurait été sérieusement transformée; troisièmement, l’affirmation que les pratiques politiques et communautaires seraient, elles aussi, en train de muter; et quatrièmement, l’allégation que l’état et son autorité seraient en train de disparaître. Après mûres investigations, May souligne que ces quatre postulats implicites assurent une fonction proprement idéologique, surtout si l’on considère que la division du travail reste globalement inchangée, tout du moins dans son principe directeur. L’économie de marché capitaliste reste indubitablement mue, d’une part, par la propriété privée des moyens de production, et d’autre part, par une dynamique fondée sur l’accumulation du capital productif, elle-même guidée par la recherche du profit. De ce fait, le modèle de Webster devrait s’adjoindre d’une réflexion critique: en quoi ce thème est-il valable ou pertinent dans le champ des sciences sociales, dans quels contextes et à quelles fins ? Sur ce point, Webster lui-même est contraint d’admettre que les interprétations en vigueur sont contrastées, pour ne pas dire hétérogènes:

To some it constitutes the beginning of a professionalized and caring society, while to others it represents a tightening of control over the citizenry; to some it heralds the emergence of an educated public which has ready access to knowledge, while to others it means a deluge of trivia, sensationalism and misleading propaganda that keeps people stupid; to some it heralds a knowledge-led society, while for others we have entered an era of unprecedented monitorship. Among political economists’ talk is of a novel ‘e-economy’ in which the quick-thinking knowledge entrepreneur has the advantage; among the more culturally sensitive reference is to ‘cyberspace’, a ‘virtual reality’ no-place that welcomes the imaginative and inventive. Amidst this divergent opinion, what is striking is that, oppositional though they are, all scholars acknowledge that there is something special about information. (Webster, 2014: 2)

Malheureusement, Webster finit par reconnaître, quelques pages plus loin, que les cadres de référence de ces théories ne s’accordent pas quant au sujet commun qu’elles traitent, à savoir ce qu'est fondamentalement l’information (Webster, 2014: 4)[4]. À notre sens, cet aveu de faiblesse est tout à fait problématique. Comment peut-on s’intéresser aux théories de la société de l’information sans être en mesure de définir ce que le concept d’information recouvre, quelles sont les caractéristiques de ladite société et quelle en est la genèse, surtout si l’on admet que le développement technologique n’en constitue pas la cause première ? À la défense de Webster, on peut toutefois noter qu’il aboutit à la même conclusion, à la fin de l’ouvrage, en jugeant que le concept de «société de l’information» est fondamentalement imparfait, même s’il est vrai qu’il a pu «aider certains chercheurs à s'intéresser à un grand nombre de phénomènes et à les rassembler, qu'il s'agisse des changements professionnels, des nouveaux médias, de la numérisation ou de l'évolution de l'enseignement supérieur (Webster, 2014: 340. [traduction libre])»[5]. On pourrait même aller plus loin, en constatant que la société de l’information n’est pas un concept, puisqu’il n’existe pas de consensus clair et univoque quant à sa définition. L’objectif du présent article n’est cependant pas de remédier entièrement à cette situation. À notre sens, l’approche comparatiste et qualitative de Webster a d’ores et déjà offert un point de vue nuancé et riche sur la question. Cet article se fixe simplement pour objectif d’apporter quelques éléments de réflexion sur le sujet.

 

Information et contrôle

The Control Revolution: Technological and Economic Origins of the Information Society (1986) est un essai de l’historien James R. Beniger qui s’est penché sur les raisons structurelles ayant motivé l’avènement d’une société de l’information. En 1993, Webster y faisait lui-même textuellement référence, estimant que ce livre était digne d’intérêt et qu’il offrait une théorie à part entière (Webster et Robins, 1993). Dès lors, comment justifier son retrait, ou plus exactement son omission, dans l’ouvrage de référence Theories of the Information Society, paru tout juste deux années plus tard[6]? S’il est difficile de répondre à cette question, qui comporte une part de contingence et de subjectivité, il est toutefois possible de remarquer que les thèses défendues par Beniger sont très originales, pour ne pas dire hétérodoxes. Dès l’introduction, il énonce vouloir répondre à la série de questions suivantes: Pourquoi vivons-nous dans une société de l'information? Comment la collecte, le traitement et la distribution de l'information en sont-ils venus à jouer un rôle stratégique sur le plan économique dans les sociétés industrielles avancées par rapport aux rôles traditionnellement accordés à l’énergie et à la matière ? Et enfin, ce changement de société est-il récent — ou l’est-il véritablement? Pour y répondre, Beniger se distingue très nettement de ses prédécesseurs, puisqu’il recense méthodiquement les biais interprétatifs auxquels nous avons précédemment fait allusion:

First, important transformations of society rarely result from single discrete events, despite the best efforts of later historians to associate the changes with such events. Human society seems rather to evolve largely through changes so gradual as to be all but imperceptible, at least compared to the generational cycles of the individuals through whose lives they unfold. Second, contemporaries of major societal transformations are frequently distracted by events and trends more dramatic in immediate impact but less lasting in significance. Few who lived through the early 1940s were unaware that the world was at war, for example, but the much less noticed scientific and technological by-products of the conflict are more likely to lend their names to the era, whether it comes to be remembered as the Nuclear Age, the Computer Age, or the Space Age. (Beniger, 1986: 2)

Dans le même ordre d’idées, il note qu’un nombre sans cesse croissant de chercheurs en sciences sociales prétendent avoir découvert le pot aux roses, en déclarant solennellement qu’un changement de société serait en cours (ou pire, qu’il serait sur le point d’advenir), en le corrélant abusivement à l’avènement d’une technologie nouvelle. A contrario, Beniger juge que nous ne devrions pas être «préoccupés par des événements et des tendances spécifiques, et peut-être éphémères, au risque de négliger ce qui, dans de nombreuses années seulement, sera considéré comme la dynamique fondamentale de notre époque (Beniger, 1986: 3 [traduction libre])»[7]. Dans ses textes, ce postulat s’adjoint d’une préconisation: l’essor de l’informatique ne devrait pas être appréhendé comme la cause première, mais plutôt comme la conséquence d’un changement de société qui a d’ores et déjà eu lieu. En effet, les origines et le développement des sociétés de l'information remontent, selon Beniger, aux grandes crises économiques et commerciales du siècle dernier, soit approximativement entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècles. À ses yeux, les États-Unis, l’Angleterre, la France et l’Allemagne ont été pleinement frappés par ces crises. Son argumentaire consiste alors à démontrer comment la révolution industrielle a entraîné une augmentation spectaculaire de la vitesse, du volume et de la complexité des processus extractifs et manufacturiers. Par extension, il constate qu’un ensemble de problèmes logistiques et humains sont apparus: accidents de train mortels, wagons de marchandises égarés pendant des mois, pertes d'expéditions, incapacité à maintenir des taux élevés de rotation des stocks, etc.

À partir du XVIIIe siècle, l'utilisation de la machine à vapeur a effectivement facilité l’acheminement des marchandises, ces dernières pouvant être transportées «à la vitesse maximale de la production industrielle, nuit et jour, dans pratiquement toutes les conditions, non seulement d'une ville à l'autre, mais aussi à travers les continents et dans le monde entier (Beniger, 1986: 12. [traduction libre])»[8]. Dans chaque secteur d’activité, l'industrialisation s'est ainsi traduite par une forte injection de capitaux destinés à renforcer l'exploitation des combustibles fossiles, du travail salarié et de la technologie, ce qui a donné naissance à des systèmes sociotechniques plus vastes et plus complexes — des «systèmes caractérisés par une forte différenciation et une interdépendance croissante à tous les niveaux (Beniger, 1986: 12. [traduction libre])»[9]. En conséquence, l’industrialisation a fait sauter les barrières du transport et de la communication qui isolaient traditionnellement les marchés locaux, en étendant la distribution des biens et des services aux marchés nationaux, voire mondiaux. Cette situation eut pour effet de perturber l'équilibre des marchés traditionnels, dans lesquels la production se voyait régulée par une communication directe entre le producteur et le vendeur. Dans le prolongement de cette réflexion, Beniger suggère que ces problèmes logistiques et humains tenaient lieu, avant tout, de la création d’un nouveau rapport d’échelle. La révolution industrielle, avec son utilisation massive d'énergie et de capital humain pour alimenter l’extraction des ressources matérielles et énergétiques, ainsi que les processus manufacturiers, nécessitait une croissance correspondante de l’exploitation de l'information. Autrement dit, un besoin croissant de coordination entre les divers secteurs d’activité se faisait sentir: une situation qui présupposait logiquement de standardiser les protocoles de transfert de l’information, en les resserrant autour de fonctions et de codes préétablis.

C’est ce qu’il appelle la révolution du contrôle, un terme qu’il emploie afin de décrire «l’ensemble des changements rapides dans les arrangements technologiques et économiques permettant de collecter, de stocker, de traiter et de communiquer des informations, et par lesquels des décisions formelles ou programmées peuvent affecter le contrôle de la société dans son ensemble (Beniger, 1986: vi)»[10]. L’intérêt de cette formulation, c’est qu’elle permet d’étudier l’histoire des sociétés de l’information à travers un prisme national, lui-même interdépendant d’une économie-monde, plutôt que de mettre uniquement l’accent sur les innovations de rupture qui caractérisent lesdites sociétés. Sous sa plume, le mot contrôle signifie à la fois «une influence dirigée vers un but prédéterminé», soit «l'influence d'un agent sur un autre (de sorte que le premier provoque des changements dans le comportement du second)» et «un but, dans le sens où l'influence est dirigée vers un objectif préalablement fixé par un agent de contrôle (Beniger, 1986: 7-8 [traduction libre])»[11]. En tant que concept général, le contrôle englobe ainsi toute une gamme d’actions et de comportements, allant du contrôle total et absolu vers des formes plus faibles et probabilistes. Selon Beniger, il existerait fondamentalement trois niveaux de contrôle, eux-mêmes associés à trois dimensions temporelles: (1) l'existence ou l'être, soit le problème du maintien de l'organisation —même en l'absence de changement externe— avec le désir sous-jacent de contrer l'entropie; (2) l'expérience ou le comportement, soit le problème de l'adaptation des processus orientés vers un but, afin qu’ils puissent varier et changer en rapport à des conditions externes; (3) l'évolution ou le devenir, soit le problème de la reprogrammation des objectifs et des procédures moins efficaces, tout en préservant les plus efficaces (Beniger, 1986: 66). Afin d’illustrer cette grille d’analyse, il compare le mode de fonctionnement de deux systèmes d’information:

With computer, for example, we recognize the fragility of existence in system crashes, power failures, and accidental erasures of memory, the problems of behavior in exceeding parameters or in infinite looping, and the failure of evolution in the impossibility of reprogramming read-only memory (ROM) to new specifications. Reprogramming is the general solution to problems of both behavior and evolution in all living systems. At the organic level of reprogramming comes in response to changes in selection pressure on the replicating programs (genes) qua species that both exist and behave, that is, on the class of all entities that might be controlled by the program. Similar categories have already been applied to human societies, for examples, to distinguish structure, process, and history in modern structuralist-functionalist social theory. According to the venerable campus cliché, a university has precisely the same three functions: to create knowledge (its evolution or becoming in research), to preserve knowledge (the archival function of existence or being), and to disseminate knowledge (the experience or behavior we know as teaching and learning). (Beniger, 1986: 67)

En d’autres termes, le contrôle de l’information permettrait de canaliser le comportement et l’évolution du système tout entier. C’est du moins l’ambition sous-jacente qui motive l’émergence des sociétés de l’information, à en croire Beniger. De ce point de vue, l’essor des bureaucraties modernes et les diverses formes de rationalisation qui lui sont imputables participeraient d’une seule et même dynamique historique. Structurées autour d’un ordre de l’information que l’on pourrait qualifier d’impersonnel, de protocolaire et de standardisé, les bureaucraties modernes ont effectivement été amenées, dans l’exercice de leurs fonctions, à identifier des cas et à les traiter à partir d’un ensemble de règles formelles et largement prédéterminées: l’objectif poursuivi étant de régir toutes les décisions et les réponses qu’elles étaient susceptibles d’y apporter. La rationalisation peut ainsi être définie, dans ce contexte, comme «la destruction ou l’omission de certaines informations, afin d’en faciliter le traitement (Beniger, 1986: 15 [traduction libre])»[12]. Toujours selon Beniger, le contrôle de l’information peut essentiellement être amélioré de deux façons: d’une part, en augmentant la capacité de traitement; et d’autre part, en standardisant le format des informations qui sont mises en circulation, afin d’en faciliter le traitement d’un bout à l’autre. Se référant aux écrits du sociologue Max Weber, Beniger rappelle à juste titre que «toute propension à humaniser cette machinerie bureaucratique s’est vu minimiser par une division du travail et une gestion des responsabilités bien établies, une autorité hiérarchique et des fonctions de décision et de communication spécialisées (Beniger, 1986: 15 [traduction libre]»[13].

Si l’on souhaite résumer à grands traits l’argumentaire de Beniger, on peut dire que l’exploitation de l’information prend racine dans plusieurs tendances sociales, économiques et technologiques: une transformation du rapport d’échelle induite par la mondialisation des échanges économiques; l’essor des bureaucraties modernes; un ensemble d’innovations technologiques destinées à résoudre les problèmes logistiques et humains dont nous avons précédemment fait mention; et enfin, une restructuration de l’activité économique, en raison de la disruption des marchés traditionnels, et plus particulièrement des moyens de communication qui maintenaient jusqu’alors un équilibre précaire entre les sphères de la production, de la distribution et de la consommation. Sous cet angle, la photographie, la télégraphie, l’impression rotative, la machine à écrire, le câble transatlantique, le téléphone, la télégraphie sans fil, l’enregistrement sur bande magnétique, la radio, ou encore la télévision font partie de la révolution du contrôle, au même titre que les ordinateurs, la télévision, les jeux vidéo, les services d'information en ligne, les ordinateurs portables, la communication assistée par ordinateur, le web, les téléphones intelligents, ou toute autre technologie servant à canaliser et à médiatiser les flux d’information entre les membres du corps social.

En substance, toutes ces innovations technologiques sont basées sur des programmes qui facilitent l’exploitation de l’information et sa mise en circulation à des degrés divers. Si le contrôle du gouvernement et des marchés reposait auparavant sur les relations et les interactions en face à face, la révolution du contrôle établit un nouveau régime, au moyen d’une organisation bureaucratique, de nouvelles infrastructures de transport et de télécommunications, et de moyens de communication qui se déclinent à l'échelle de la société tout entière via les nouveaux médias de masse. La force de son argumentaire réside justement dans le fait qu’il explique en quoi ces diverses tendances, que l’on pourrait considérer à tort de manière séparée, se renforcent mutuellement. Selon Beniger, la transition allant d’une crise vers une révolution du contrôle s’est opérée, pour l’essentiel, à compter des années 1880-90 jusqu’aux années 1930-40. En outre, elle peut être attribuée à une synergie entre trois dynamiques.

Premièrement, les technologies de contrôle ont évolué conjointement avec l'accroissement des besoins en énergie et de la vitesse de traitement, en suivant une spirale positive: les progrès de l'un des facteurs entraînant (ou tout du moins permettant) des améliorations significatives vis-à-vis des autres facteurs. Par exemple, les ordinateurs reposent sur l’énergie électrique et ils ont permis de contrôler d’autres technologies de pointe, de manière beaucoup plus rapide et complexe, tels que les systèmes de transport aérien. Deuxièmement, le renforcement du contrôle a permis d'accroître la fiabilité et, partant, la prévisibilité des processus économiques, ce qui s'est traduit par une forte augmentation du rendement économique, en raison de l'application des technologies de traitement de l'information. En retour, l’augmentation de la fiabilité et de la prédictibilité des flux économiques a elle-même été rendue possible par le développement successif et continu de techniques de planification: comptabilité du revenu national, prévisions économétriques, analyse des entrées-sorties, programmation linéaire, théorie de la décision statistique, recherche opérationnelle, analyse des systèmes, simulations assistées par ordinateur, analyse coûts-avantages, programmation et budgétisation planifiées, et ainsi de suite (Beniger, 1986: 293). L’une des caractéristiques de cette nouvelle forme de gouvernement, que l’on pourrait qualifier de «technocratique», réside dans l’interdépendance des secteurs publics et privés. Sur ce point, Beniger offre une analyse d’une grande pertinence sur l’essor de la publicité moderne. Selon lui, à mesure que «les agences de publicité ont été intégrées dans le contrôle bureaucratique de la consommation de masse (Beniger, 1986: 349 [traduction libre])»[14], le domaine de la publicité à commencer à acquérir ses lettres de noblesse. À la perte de communication entre le producteur et le vendeur s’est substitué un régime publicitaire, ayant la capacité d’être au plus proche des besoins des consommateurs, voire d’en créer artificiellement, afin de stimuler et de contrôler les indices de croissance économique. Et troisièmement, le traitement de l’information, qui s’est multiplié en réponse aux problèmes engendrés par l’extractivisme, demandait lui-même à être contrôlé, de sorte que de nouvelles crises sont apparues et ont été résolues, tout au long du XXe siècle, à des niveaux de contrôle de plus en plus éloignés du traitement de la matière et de l'énergie. Se référant aux écrits du sociologue Daniel Bell, l’auteur souligne notamment l'importance croissante des secteurs quartenaire et quinaire dans l’économie des sociétés industrielles avancées: «si le secteur quartenaire (finance, assurance, immobilier) se développe pour contrôler l'extraction (secteur primaire), la transformation (secteur secondaire) et la distribution (secteur tertiaire) de la matière et de l'énergie, le secteur quinaire (droit et gouvernement) se développe pour contrôler le secteur quartenaire, c'est-à-dire pour se contrôler lui-même à un niveau encore plus élevé (Beniger, 1986: 292-3 [traduction libre])»[15].

Quelle conclusion peut-on tirer de l’exposé offert par Beniger? Tout d’abord, la société de l'information n'est pas le produit de changements récents, mais elle résulte plutôt d'une augmentation constante de la vitesse des processus extractifs et manufacturiers: une tendance à la fois sociale et technique qui s’est développée dans le cadre d’une économie matérielle, il y a plus d'un siècle. De même, les microprocesseurs et les dispositifs numériques ne représentent pas, contrairement à l'opinion courante, une nouvelle force qui se serait récemment mise en œuvre. Ils constituent juste l’étape la plus récente d’une longue dynamique historique. Depuis l’immédiate après-guerre, le développement et l’utilisation généralisée des réseaux informatiques, mais aussi l’émergence des sciences de l’information et de la communication, ont permis de mettre en lumière le rôle stratégique de l’information sur le plan économique, au même titre que le capital, le travail, ou encore l’exploitation des ressources matérielles et énergétiques. Dans les sociétés industrielles avancées, les dispositifs numériques ont considérablement accru la propension à informatiser nos échanges interpersonnels, ce qui a permis de nombreux gains d’efficacité et une augmentation du rendement économique. Toutefois, ce n’est qu’en reconsidérant l’histoire de la révolution industrielle et ses paradoxes que l’on peut véritablement comprendre la centralité de l’information, de la communication et du contrôle sous toutes ses formes dans les sociétés industrielles avancées. Reste à définir, à présent, ce que le concept d’information désigne avec autant de précision et d'exactitude que possible.

 

La réalité et ses modèles

La volonté d’établir une théorie unifiée de l’information s’est fait ressentir dans plusieurs secteurs d’activité, à compter des années 1940, et divers modèles conceptuels ont été mis au point afin de définir ce qu’est l’information depuis lors. La cybernétique, la théorie de l’information, la sémiotique, la théorie des systèmes, et bien d’autres disciplines scientifiques sont réunies autour de cette ambition commune (Qvortrup, 1993). À des fins explicatives, la résurgence du concept d’information demande, cependant, à être mise en parallèle avec l’exposé de Beniger. Au terme d’une période transitoire, allant approximativement de 1880 à 1940, la révolution du contrôle s’est mise en marche, puis elle a franchi une nouvelle étape, entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, avec l’arrivée des technologies numériques. Pour cause, l’essor des technologies numériques a rendu possible un codage en valeurs discontinues de ce qui aurait été, quelques années auparavant, un signal analogique variant continuellement dans le temps. En clair, l’apport de ces technologies est double: d’une part, elles permettent d’accroître le volume de stockage; et d’autre part, elles augmentent la capacité de traitement.

Outre l’aspect technique, les technologies numériques ont également eu pour effet de mettre à mal les distinctions antérieures entre la diffusion de l'information et son traitement, entre l’être humain et la machine. Sur ce point, les observations de Beniger sont éloquentes: «La numérisation rend la communication des personnes vers les machines, entre les machines, et même des machines vers les personnes aussi faciles qu'entre les personnes elles-mêmes. Les distinctions entre les types d'information deviennent également floues: les chiffres, les mots, les images, les sons et, à terme, les goûts, les odeurs et peut-être même les sensations, pourraient tous être un jour enregistrés, traités et communiqués sous la même forme numérique (Beniger, 1986: 25 [traduction libre])»[16]. Dans ce contexte, il est facile de comprendre pourquoi le concept d’information a connu une résurgence à partir des années 1940, mais aussi pourquoi le thème de la société de l’information a fait surface une vingtaine d’années plus tard, soit approximativement dans les années 1960-70. À l’heure actuelle, définir ce qu’est l’information reste, malgré tout, une tâche ardue. Pour parfaire cette lacune, une base historico-crique paraît indispensable.

Le mot «information» a des racines latines (informatio) et il désigne, à l’origine, deux activités distinctes: l'acte de former l'esprit et l'acte de communiquer des connaissances (Capurro et Hjørland, 2003). Ces deux activités sont, de toute évidence, intimement liées. Dans le dictionnaire Larousse, on peut notamment lire que l’information désigne «tout événement, tout fait, tout jugement porté à la connaissance d'un public plus ou moins large, sous forme d'images, de textes, de discours, de sons (Larousse, 2022)». Or, c’est bien parce que l’étendue de ce concept est particulièrement large qu’il est difficile d’en proposer une définition formelle. Dans un article intitulé «The Concept of Information» paru en 2003, les scientifiques de l’information Rafael Capurro et Birger Hjørland ont d’ores et déjà souligné cette difficulté, en rappelant que les valeurs d’usage d’un terme peuvent considérablement s’éloigner des définitions formelles que l’on en propose, en ceci qu’il revêt d’autres significations impliquant des conceptions théoriques qui peuvent être contradictoires. En raison de cette tendance, il importe non seulement de comparer les définitions formelles entre elles, mais aussi de considérer la signification du mot «information» au sens large, c’est-à-dire d’évaluer les relations qu’il est susceptible d’entretenir avec de multiples expressions issues du langage courant, telles que la «recherche d’information», les «systèmes d’information», les «services d’information», les «chaînes d’information», etc (Capurro et Hjørland, 2003). Or, quoi de mieux, pour y parvenir, que de se pencher sur l’étymologie du mot lui-même:

The Thesaurus Linguae Latinae (1900) gives detailed references to the uses of informatio and informo in Latin from Virgil (70-19 B.C.) until the eighth century. There are two basic contexts, namely a tangible (corporaliter) and an intangible (incorporaliter) one. The prefix in may have the meaning of negation as in informis or informitas, but in our case it strengthens the act of giving a form to something, as in Virgil’s verses on Vulcan and the Cyclops hammering out (informatum) lightening bolts for Zeus (Aen. 8, 426) or a huge shield for Aeneas (Aen. 8,447). Early references to the use of informo are in a biological context, for instance by Varro (116-27 B.C.) who describes how the fetus is being “informed” (informatur) by head and backbone (Frg. Gell. 3,10,7). The intangible or spiritual context concerns moral and pedagogical uses since the second century A.D. that reveal not only the influence of Christianity—Tertullian (ca. 160-220 A.D.) calls Moses populi informatory; that is, people’s educator or molder—but in several cases also an explicit reference to Greek philosophy, particularly to Plato (427-348/7 B.C.) and Aristotle (384-322 B.C.). Several Greek words were translated with informatio or informo, such as hypotyposis (which means model, especially in a moral context) and prolepsis (representation), but most higher-level uses are explicitly related to eidos, idea, typos, and morphe; that is, to key concepts of Greek ontology and epistemology (Capurro, 1978). This relationship is clearly the case with prominent thinkers such as, for instance, Cicero (106-43 B.C.) and Augustine (354-430 A.D.). Nevertheless, these higher-level concepts have their roots in the low-level use of these words, particularly in the primitive context of pottery as well as in the Greek experience of limitation and shining-forth of what we perceive sensually (phainonemon). (Capurro et Hjørland, 2003: 351-2)

Sur le plan conceptuel, l’information comprend ainsi trois niveaux d’analyse: celui d’un objet informationnel (niveau 1) qui agit, en tant que phénomène, sur certains sujets (niveau 2) en motivant une série de réponses (niveau 3) telles que des interprétations, des sélections, des manipulations, etc. Par extension, le troisième niveau agit rétroactivement sur le premier, de sorte que le cycle de l’information se poursuit et est amené à se préserver ou à évoluer au fil du temps. De ce fait, il existe une relation intime entre l’acte de donner forme et le fait d’être informé. En vertu des composantes à la fois matérielles et immatérielles de l’information, les définitions formelles ne permettent pas d’en saisir l’essence, puisqu’elles sont amenées à varier en fonction des niveaux d’analyse que l’on choisit d’étudier. En conséquence, les définitions formelles servent plutôt à établir des modèles de relation afin d’en étudier les qualités, les effets et les processus de l’information. Une fois de plus, on revient aux trois niveaux décrits par Beniger: (1) l’être ou l’existence; (2) l’expérience ou le comportement; et enfin (3) l’évolution ou le devenir. D’une manière générale, il convient de comparer les modèles existants, ainsi que les définitions formelles autour desquelles ils ont été construits. C’est la tâche que s’est assignée le scientifique de l’information Lars Qvortrup, dans un article intitulé «The Controversy over the Concept of Information» paru en 1993. Selon l’auteur, quatre modèles de relations se sont imposés afin de définir ce qu’est l’information.

 

L'information en tant que différence physique

Ce modèle postule que l’information peut être définie comme une chose ou une substance qui existent dans le monde extérieur, telles que la chaleur, l’électricité, etc. De ce point de vue, l’information est définie comme un élément identifiable et reconnaissable empiriquement, c’est-à-dire en tant que différence dont l’existence est indépendante de l’observateur: «Un tableau noir sur lequel il n'y a rien ne contient aucune information. Mais dès qu'une marque apparaît, une information apparaît. Une marque de craie sur le tableau noir est une information». Cette définition est centrale dans la théorie de l’information, telle qu’elle a été développée par le mathématicien et ingénieur Claude E. Shannon dans un livre intitulé The Mathematical Theory of Communication (1949)[17], puisqu’elle postule que «l’information peut être traitée comme une quantité physique semblable à la masse ou à l’énergie (Shannon, 1972: 246 [traduction libre])»[18].

En affirmant que l’information est analogue à une quantité physique, Shannon établit un modèle lui permettant de mesurer le rythme auquel l'information est produite par une source donnée (R) et le rythme auquel elle est transmise à travers un canal donné (C): «Grâce à un système de codage ou de modulation approprié, l'information peut être transmise sur le canal si et seulement si le taux de production R n'est pas supérieur à la capacité C (Shannon, 1972: 247 [traduction libre]»[19]. Le problème, c’est qu’il est obligé de définir ce qu’est l’information afin d’en établir la mesure. Pour ce faire, il revient aux trois niveaux que nous précédemment évoqués, en les réorientant à travers sa propre grille de lecture: «(1) l’exactitude avec laquelle les symboles de la communication peuvent être transmis (le problème technique); (2) la précision avec laquelle les symboles transmis véhiculent la signification voulue (le problème sémantique); (3) et enfin dans quelle mesure la signification reçue affecte-t-elle efficacement le comportement de la manière souhaitée (le problème de l'efficacité) (Shannon et Weaver, 1948: 4 [traduction libre])»[20]. En choisissant de se concentrer exclusivement sur la question du transfert des signaux, allant de l'émetteur vers le récepteur, Shannon réduit l’information à un problème d’ordre strictement technique, en postulant que sa compréhension éclairait de facto tous les niveaux ultérieurs. L’information est ainsi considérée sur un plan physique, tout du moins en apparence, puisqu’il écrit aussi la chose suivante:

The significant aspect of information from the transmission standpoint is the fact that one particular message is chosen from a set of possible messages. What must be transmitted is a specification of the particular message which was chosen by the information source. The original message can be reconstructed at the receiving point only if such an unambiguous specification is transmitted. Thus, in information theory, information is thought as a choice of one message from a set of possible messages. (Shannon, 1972: 247)

Comme le note Qvortrup, la position défendue par Shannon est contradictoire: si l’information est analogue à une quantité physique et qu’elle est indépendante de l’observateur, elle ne peut pas être en même temps une décision faite par un émetteur ou un récepteur (Qvortrup, 1993: 5). Pour cause, cette seconde métaphore («l’information en tant que décision») présuppose que l’information envoyée n’est pas nécessairement équivalente à l’information reçue, car chaque choix implique une comparaison avec une liste de messages possibles, et a fortiori la production d’un ensemble de chaînes signifiantes. Or, dès que l’on évoque les processus de signification, l’information cesse d’être appréhendée comme une substance, dans la mesure où deux personnes sont susceptibles d’interpréter le même message de deux manières différentes. De plus, si l’on compare l’information à une quantité physique, un parallèle avec l’énergie demande à être établi, soit parce que cela dépense de l’énergie d’acquérir de l’information, soit parce que cela dépense de l’énergie de sélectionner et de supprimer de l’information. Encore une fois, cette définition postule donc implicitement l’existence d’un observateur, tout en le niant: un double standard qui a été largement critiqué depuis, mais qui continue de hanter les domaines de l’informatique, de la cryptographie et possiblement toutes les conceptions purement technicistes de l’information (Eco, 1988).

 

L'information en tant que différence qui fait une différence

Ce modèle part du principe que l’information peut être définie comme un élément du monde extérieur qui provoque un changement dans la conscience du sujet. Ici, l'information peut être définie comme «une différence qui fait une différence», c'est-à-dire comme une différence dans la réalité qui provoque une différence dans l’aperception du sujet. L’anthropologue Gregory Bateson est l’un des premiers intellectuels à avoir défendu cette idée dans une série de communications et d’articles scientifiques, parmi lesquels on peut citer «Double Bind» (1969), «Form, Substance, and Difference» (1970) et «The Cybernetics of ‘Self’» (1971). Ces textes ont ensuite été regroupés dans le livre Steps to an Ecology of Mind paru en 1972, puis Bateson est revenu sur sa définition dans un autre livre, intitulé Mind and Nature. A Necessary Unit (1979), sans pourtant en modifier le contenu. Dès le premier article, les traits fondamentaux de sa définition sont clairement énoncés:

Clearly there are in the mind no objects or events — no pigs, no coconut palms, and no mothers. The mind contains only transforms, percepts, images, etc., and rules for making these transforms, percepts, etc. […] It is nonsense to say that a man was frightened by a lion, because a lion is not an idea. The man makes an idea of the lion. The explanatory world of substance can invoke no differences and no ideas but only forces and impacts. And, per contra, the world of form and communication invokes no things, forces, or impacts but only differences and ideas. (Bateson, 1972: 199)

En d’autres termes, Bateson suggère qu’il existe une différence de nature entre le monde physique et le monde psychosocial, tout en sachant pertinemment qu’ils sont interreliés. En tant qu’elles s’appuient sur un ensemble d’autoréférences, les informations issues des systèmes psychosociaux ne sont pas composées d’objets physiques ou de substances, mais de catégories mentales, d’images, de signes, etc. Si la conscience est fabriquée par le biais de ces processus, c’est parce qu’elle contient en elle-même ses propres lois de production, sa propre manière de construire des informations. En ce sens, elle s’apparente à un système semi-ouvert et récursif, puisque toute information est nécessairement et inévitablement déterminée par sa propre organisation interne. Les systèmes vivants sont en mesure de coder et de décoder des informations en vertu du fait qu’ils sont reliés par des couplages ou des perturbations qui, certes, ne sont pas sans rapport avec leurs environnements, mais dont les réponses sont uniquement conditionnées par leurs propres cadres de références.

De ce point de vue, l'information est une différence dans le monde extérieur qui entraîne un changement opérationnel —une différence— dans le système d'observation lui-même. Cette conception de l’information repose en grande partie sur les écrits de Humberto Maturana et de Francisco Varela, deux biologistes qui ont mis au point le concept d’autopoïèse afin de désigner la capacité qu’ont les systèmes vivants de s’auto-organiser (Maturana et Varela, 1970, 1972, 1986). Selon Varela, la codification est une notion cognitive qui représente les interactions de l’observateur, et non pas une translation pure et simple d’une opération dans le domaine observé: «L'information n'existe pas indépendamment d'un contexte organisationnel qui génère un domaine cognitif, à partir duquel une communauté d'observateurs peut qualifier certains éléments d'informationnels ou de symboliques (Varela, 1981: 45 [traduction libre]»[21]. Revenant à l’exemple de la craie, Bateson explique ceci: «Il existe un nombre infini de différences autour et à l'intérieur du morceau de craie. [...] De cette infinité, nous en sélectionnons un nombre très limité, qui devient une information (Bateson, 1991: 453 [traduction libre]»[22]. Toutefois, Bateson suggère que la sélection s’opère, d’abord et avant tout, à un niveau biologique.

 

L'information en tant que différence cognitive

On pourrait croire, à tort, que le modèle de Bateson établit une frontière opaque, voire dresse une séparation nette entre le sujet et le monde. S’il soutient, d’une part, que les systèmes d’observation sont autopoïétiques, il admet tout de même, d’autre part, qu’ils entretiennent des relations significatives avec leurs environnements. Autrement dit, la sélection de l’observateur s’opère bel et bien à partir d’un morceau de craie et pas d’une simple construction mentale. Cette nouvelle étape, qui consiste à définir l'information en tant que différence qui n'existe que dans l'esprit humain, prend racine dans les travaux du physicien Heinz von Foerster. Dans un article intitulé «Notes for an Epistemology of Living Things» (1972) et dans ses livres Observing Systems (1982) et Understanding Understanding: Essays on Cybernetics and Cognition (2003), il radicalise les propositions de Bateson, en soutenant que les systèmes autopoïétiques construisent l’environnement lui-même, puisque toute forme observation demande à être produite par une série d’auto-observations.

Dès lors, l'information n'est appréhendée ni comme une chose, ni comme une différence dans le monde extérieur, et ce n'est pas non plus une différence qui fait une différence. Elle se borne à être une simple construction mentale. D’après Von Foerster, l'être humain construit une différence cognitive et c'est par elle que le monde lui apparaît. Dans ce contexte, l'information devient un concept relatif qui n'a de sens que lorsqu'il est lié à la structure cognitive d’un observateur qui interprète un énoncé, c’est-à-dire qu’elle dépend de sa capacité à déduire quelque chose à partir d’une description. Ceci revient à dire que l’environnement ne contient aucune information. La spécificité de ce modèle, c’est qu’il établit une séparation nette entre le sujet et l’objet, ou plus exactement entre le système d’observation et la chose observée, sans pour autant nier l’existence phénoménologique du monde. Toujours selon Von Foerster, les informations qui sont envoyées au cortex sont qualitativement identiques (p. ex. si un neurone envoie un signal visuel au cortex, il n’est pas différent des signaux auditifs, olfactifs, etc.) (Von Foerster, 1973; Von Glaserfeld, 1991). S’il est prêt à admettre que les signaux varient en fréquence et en amplitude, il affirme cependant qu’aucune distinction qualitative ne peut être émise concernant leurs significations. En d’autres termes, c’est le cortex lui-même qui produit des différences, tandis que le système nerveux n’est composé que de codifications indifférenciées (Von Glaserfeld, 1991). À ce titre, Von Foerster juge qu’il serait injustifié de présupposer que nous différencierions les choses en vertu d’informations que nous aurions reçues du monde extérieur. Si l'on revient à l’exemple de la craie, Von Foerster aurait pu soutenir quelque chose de la sorte: «le morceau de craie et le tableau noir existent dans l’esprit de la personne qui en fait l’expérience».

 

L'information en tant que différence qui trouve une différence

Ce dernier modèle suggère que l'information peut être définie comme un changement dans la conscience ayant été stimulé, mais non produit, par une irritation provenant du monde extérieur. Contrairement à la seconde définition, l'ordre logique du monde extérieur et de la conscience se voit ici renversé, puisque l'information est définie comme une différence qui trouve une différence, c'est-à-dire comme une construction mentale qui se voit confirmée ou infirmée, déclenchée ou ignorée, par une information. En d’autres termes, ce modèle postule l’inadéquation des systèmes biologiques (vie), psychiques (conscience) et sociaux (communication): chacun d’entre eux étant simultanément gouverné par ses propres codes et couplé, de manière faible ou structurelle, à son environnement, c’est-à-dire à tout ce qui lui est extérieur et qui peut agir sur lui à des degrés divers. L’un des premiers intellectuels à avoir théorisé ce rapport d’inadéquation, en cherchant à en identifier les causes et les propriétés, n’est nul autre que le sociologue Niklas Luhmann. D’abord développé dans son livre Soziale Systeme – Grundriß einer allgemeinen Theorie (1984), ce modèle a ensuite été sérieusement bonifié dans son opus magnum Die Gesellschaft der Gesellschaft (1998).

L’idée principale qui est au cœur de ce modèle est que la société émerge dans et par les systèmes de communication: un postulat qui permet de clarifier ce qu’il appelle le problème de la «double contingence» (Doppelte Kontingenz), soit le fait que lorsque nous communiquons, nous sommes obligés de prendre simultanément en compte le message que l’on souhaite transmettre et la manière dont il pourrait être décodé par autrui (Luhmann, 1984). Selon Luhmann, la société ne décroît pas lorsqu’une personne meurt, pas plus qu’elle ne croît lorsqu’une personne voit le jour, car elle n’est pas constituée d’individus, mais d’actes de communication. S’il est vrai que les systèmes de communication dépendent de l’existence des individus, ils n’en demeurent pas moins qu’ils sont fonctionnellement distincts, dans la mesure où ils font appel à des codes qui leur sont extrinsèques et vis-à-vis desquels ils doivent s’adapter (p. ex. la langue française préexiste à l’existence d’un québécois et elle se poursuit par-delà sa mort; l’individu n’est donc pas la cause première qui en détermine le mode de fonctionnement en tant que système):

Within the communication system we call society, it is conventional to assume that humans can communicate. Even clever analysts have been fooled by this convention. It is relatively easy to see that this statement is false and that it only functions as a convention and only within communication. The convention is necessary because communication necessarily addresses its operations to those who are required to continue communication. Humans cannot communicate; not even their brains can communicate; not even their conscious minds can communicate. Only communication can communicate. […] The mind cannot consciously communicate. It can imagine that it is communicating, but this remains an imagination of its own system, an internal operation that allows the continuation of its own thought process. This is not communication. I hope to have made clear that my argument rests on the level of factually actualized operations. The initial (system-transcending) assumption it that cognition must be understood as a recursive processing of symbols (however they are materialized) in systems isolated by the conditions of the connectability of their own operations (be they machines, in the sense of artificial intelligence; cells; brains; consciously operating systems; or communication systems). (Luhmann, 1994: 371-2)

Toujours selon Luhmann, la communication résulterait de la synthèse de trois types de sélection: la sélection de l'information, la sélection de l'énoncé de cette information, et enfin la compréhension ou l'incompréhension sélective de cet énoncé et de son information. Aucune de ces composantes ne peut exister indépendamment des autres: ce n'est qu'ensemble qu'elles forment la communication, c’est-à-dire lorsque leurs sélectivités respectives sont congruentes. Autrement dit, un acte de communication ne se produit que lorsqu’une différence peut être comprise entre l’énonciation et l’information, une situation qui permet de distinguer la valeur informative d’un contenu et les raisons pour lesquelles ce contenu a été prononcé. En l’absence de cette double contingence, il serait impossible de distinguer ce qui relève de la communication et de la perception. De ce fait, la société ne peut pas contrôler, ni même orienter, les pensées ou les perceptions d'un être humain. Les systèmes psychiques, bien qu’ils soient complémentaires aux systèmes sociaux et aux systèmes biologiques, sont fermés sur le plan opérationnel. La conscience n'est donc pas un sous-produit de la société, ni même un microcosme ou un réceptacle destiné à recevoir passivement le contenu perceptif ou les irritations émanant du monde extérieur, et a fortiori de la société. Pour en revenir, une fois de plus, à l’exemple du morceau de craie et du tableau noir, Luhmann aurait pu résumer sa position en ces termes: «mon expérience du morceau de craie et du tableau noir dépendent de schémas que j’accepte intuitivement comme vrais, mais qui peuvent changer, en fonction des relations que je décide d’entretenir avec mon environnement biologique et social».

 

Conclusion

Après avoir tenté de circonscrire le thème de la société de l’information, d’en élucider la genèse, mais aussi de comparer les définitions en vigueur, le temps est venu d’émettre quelques hypothèses, en guise d’ouverture. Premièrement, il importe de rappeler que le thème de la société de l’information n’est pas exempt de contresens. Les interprétations contrastées, pour ne pas dire hétérogènes dont il fait l’objet, peuvent être rabattu sur un constat simple: la société de l’information n’est ni un concept sociologique, ni même un concept historique. La raison en est que les définitions formelles de l’information ne peuvent exclure la prééminence d’un sujet pensant, à même de décoder les informations qui lui sont transmises et véhiculées. Deuxièmement, l’accroissement de la quantité d’informations disponibles n’a pas produit une société qualitativement nouvelle: elle a plutôt fragmenté le corps social, en poursuivant le procès de la division du travail. Troisièmement, si les effets de présence rendus possibles par la démocratisation des dispositifs numériques donnent lieu à un ensemble de conflits idéologiques, voire à des guerres culturelles larvées, c’est précisément parce que le comportement et le devenir de l’information sont difficiles à contrôler et à opérationnaliser dans le régime technologique que nous connaissons.

À bien des égards, le recours à une forme de déterminisme technologique, ainsi que sa critique sur les plans théorique, historique et idéologique, n’ont pas encore abouti à l’émergence d’une écologie de l’information. Suivant la théorie durkheimienne, on pourrait affirmer que l’absence de loi régulatrice dans certaines sphères de l’activité humaine (et en particulier dans la sphère économique) empêche actuellement la division du travail de remplir sa fonction sociale, soit celle de créer de la solidarité (Durkheim, 1978 [1893]). De ce point de vue, la société demanderait «à être considérée à la fois comme une réalité idéale qui rassemble les individus par l’intériorisation de la référence normative qu’elle induit et un pouvoir qui règle leur attente de satisfaction (Bobineau et N'Gahane, 2019: 171)». Lorsqu’elle est incapable d’exercer ce dernier rôle, comme c’est le cas aujourd’hui face aux multiples crises que nous connaissons, «les individus sont laissés à eux-mêmes et ne reconnaissant plus d’autorité légitime qui limiterait leur attente de satisfaction, celle-ci s’enflamme jusqu’à devenir insatiable et pathologique (Bobineau et N'Gahane, 2019: 171)». Le revers négatif de la société de l’information, c’est la prolifération de l’informe.



Notes

[1] «This characterization of our time is based on the widespread proliferation of emerging information and communication technologies and the capabilities that those technologies provide and will provide humankind to overcome the barriers imposed on communications by time, distance, and location and the limits and constraints inherent in human capacities to process information and make decisions. Advocates of the concept of the Information Age maintain that we have embarked on a journey in which information and communications will become the dominant forces in defining and shaping human actions, interactions, activities, and institutions.» Albert, David S., et Daniel S. Papp (éd.), The Information Age: An Anthology on Its Impact and Consequences, Washington, Centre for Advanced Concepts and Technology, 1997, p. 2. [traduction libre]

[2] La notion de village planétaire prend racine dans les écrits de Marschall McLuhan, comme en témoigne cette citation: «Electric circuitry has overthrown the regime of "time" and "space" and pours upon us instantly and continuously the concerns of all other men. It has reconstituted dialogue on a global scale. […] Ours is a brand-new world of allatonceness. "Time" has ceased, "space" has vanished. We now live in a global village...a simultaneous happening.» McLuhan, Marshall, et Quentin Fiore, The Medium is the Massage, New York, Bantam Books, 1967, p. 16.

[3] Le modèle de périodisation de Webster est plus restreint que celui de Susan Crawford. Cette dernière estime que le thème de la société de l’information remontrerait plutôt aux années 1960-70. ; À ce sujet: Crawford, Susan, «The Origin and Development of a Concept: The Information Society», Bulletin of the Medical Library Association, Vol. 71, No 4, 1983.

[4] «I focus attention on different interpretations of the import of information in order to scrutinize a common area of interest, even though, as we shall see, interpretations of the role and import of information diverge widely, and, indeed, the closer that we come to examine their terms of reference, the less agreement even about the ostensibly common subject matter – information – there appears to be.» Webster, Frank (dir.), Theories of the Information Society, 4e édition, New York, Routledge, 2014 [1995], p. 4.

[5] «The concept has helped scholars to attend to, and to collect together, a wide- ranging and diverse number of phenomena, from occupational shifts, new media, digitalization, to developments in higher education. […] Despite this, however, the Information Society concept is deeply flawed, especially in the ways it asserts that it depicts the emergence of a new type of society.» Webster, Frank, op. cit., p. 340. [traduction libre].

[6] Soyons précis sur ce point: The Control Revolution (1986) figure dans la bibliographie de l’ouvrage de référence Theories of the Information Society (2014 [1995]), mais la théorie de Beniger n’est aucunement abordée dans les développements fournis par Webster. Ce procédé rhétorique, qui consiste à mentionner un ouvrage sans véritablement l’étudier, est pour le moins étrange. Se pourrait-il qu’une étude approfondie des écrits de Beniger aurait, en quelque sorte, contraint Webster à reformuler ses hypothèses de recherche ? La question reste entière.

[7] «We may be preoccupied with specific and possibly ephemeral events and trends, at the risk of overlooking what only many years from now will be seen as the fundamental dynamic of our age.» Beniger, James R., The Control Revolution: Technological and Economic Origins of the Information Society, Cambridge, Harvard University Press, 1986, p. 3. [traduction libre].

[8] «Suddenly—owing to the harnessing of steam power—goods could be moved at the full speed of industrial production, night and day and under virtually any conditions, not only from town to town but across entire continents and around the world.» Beniger, James R., op. cit., p. 12. [traduction libre].

[9] «In each area industrialization meant heavy infusions of capital for the exploitation of fossil fuels, wage labor, and machine technology and resulted in larger and more complex systems—systems characterized by increasing differentiation and interdependence at all levels.» Beniger, James R., op. cit., p. 12. [traduction libre]

[10] «[…] a complex of rapid changes in the technological and economic arrangements by which information is collected, stored, processed, and communicated, and through which formal or programmed decisions might effect societal control.» Beniger, James R., op. cit., p. vi. [traduction libre]

[11] «Here the word control represents its most general definition, purposive influence toward a predetermined goal. Most dictionary definitions imply these same two essential elements: influence of one agent over another, meaning that the former causes changes in the behavior of the latter; and purpose, in the sense that influence is directed toward some prior goal of the controlling agent. If the definition used here differs at all from colloquial ones, it is only because many people reserve the word control for its more determinate manifestations, what I shall call “strong control.” Dictionaries, for example, often include in their definitions of control concepts like direction, guidance, regulation, command, and domination, approximate synonyms of influence that vary mainly in increasing determination. As a more general concept, however, control encom-passes the entire range from absolute control to the weakest and most probabilistic form, that is, any purposive influence on behavior, however slight.» Beniger, James R., op. cit., pp. 7-8. [traduction libre].

[12] «In short, rationalization may be defined as the destruction or ignoring of information in order to facilitate its processing.» Beniger, James R., op. cit., p. 15. [traduction libre].

[13] «Any tendency to humanize this bureaucratic machinery, Weber argued, would be minimized through clear-cut division of labor and definition of responsibilities, hierarchical authority, and specialized decision and communication functions.» Beniger, James R., op. cit., p. 15. [traduction libre].

[14] «As advertising agencies came to be incorporated in the bureaucratic control of mass consumption, the field of advertising began to emerge as a legitimate profession.» Beniger, James R., op. cit., p. 349. [traduction libre].

[15] «Such a layering of control may also account for what Bell noted as the increasing importance of the quaternary and quinary sectors of advanced industrial economies: although the quaternary sector (finance, insurance, real estate) develops to control the extraction (primary sector), processing (secondary), and distribution (tertiary) of matter and energy, the quinary sector (law and government) develops to control the quaternary—that is, to control control itself at a still high level.» Beniger, James R., op. cit., pp. 292-3. [traduction libre]

[16] «Digitalization makes communication from persons to machines, between machines, and even from machines to persons as easy as it is between persons. Also blurred are the distinctions among information types: numbers, words, pictures, and sounds, and eventually tastes, odors, and possibly even sensations, all might one day be stored, processed, and communicated in the same digital form.» Beniger, James R., op. cit., p. 25. [traduction libre].

[17] Cf. «En 1948, l’Américain Claude Elwood Shannon (né en 1916) publie une monographie intitulée The Mathematical Theory of Communication dans le cadre des publications de recherches des laboratoires Bell System, filiale de l’entreprise de télécommunications, American Telegraph & Téléphoné (ATT). L’année suivante, cette monographie devient un ouvrage publié par l’université d’Illinois, augmenté des commentaires de Warren Weaver, coordinateur, pendant la Seconde Guerre mondiale, de la recherche sur les grands calculateurs.» Mattelart, Armand, et Michèle Mattelart, «III / La théorie de l’information» dans Histoire des théories de la communication, Paris, La Découverte et Syros, 1995, p. 31.; Voir aussi: Shannon, Claude E., et Warren Weaver, The Mathematical Theory of Communication, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 1949.

[18] «A basic idea in communication theory is that information can be treated very much like a physical quantity such as mass or energy.» Shannon, Claude E., «Information Theory» dans Encyclopedia Britannica, Vol. 12, Chicago, 1972, p. 246. [traduction libre].

[19] «By a suitable coding or modulation system the information can be transmitted over the channel if and only if the rate of production R is not greater than the capacity C.» Ibid., p. 247. [traduction libre].

[20] «Relative to the broad subject of communication, there seems to be problems at three levels. Thus, it seems reasonable to ask, serially: Level A. How accurately can the symbols of communication be transmitted? (The technical problem); Level B. How precisely do the transmitted symbols convery the desired meaning? (The semantic problem); Level C. How effectively does the received meaning affect conduct in the desired way (The effectiveness problem).» Shannon, Claude E., et Warren Weaver, The Mathematical Theory of Communication, op. cit., p. 4. [traduction libre].

[21] «[…] information does not exist independent of a context of organization that generates a cognitive domain, from which an observer community can describe certains elements as informational and symbolic.» Varela, Francisco J., «Describing the Logic of the Living. The Adequacy and Limitations of the Idea of Autopoiesis» dans Milan Zeleny (éd.), Autopoiesis. A Theory of Living Organization, New York, North Holland, 1981, p. 45 [traduction libre].

[22] «[…] there is an infinite number of differences around and within the piece of chalk. […] Of this infinitude, we select a very limited number, which become information.» Bateson, Gregory, A Sacred Unity. Further Steps to an Ecology of Mind, New York, Harpers Collins, 1991, p. 453. [traduction libre].

 

 

 

Bibliographie: 
Auteur·e·s (Encodage): 
Loosli, Alban