Histoire de la violence

Date de publication: 
18 avril 2022

Description

Histoire de la violence est un roman publié par Édouard Louis aux Éditions du Seuil à l’hiver 2016. L’auteur qualifie son texte d’autobiographique, restituant les évènements du 24 décembre 2012, moment où il a eu une aventure d’une nuit avec un homme – se présentant sous le nom de Reda – qui, à la suite d’un renversement improbable, le viole sauvagement avant de tenter de le tuer à l’aide d’un pistolet. Poussé par deux de ses amis, Édouard porte plainte à la police le lendemain des faits présumés et entame l’écriture de cette expérience traumatisante dans le but de comprendre – et peut-être même d’excuser – les gestes de son agresseur.

La médiatisation de ce second roman d’Édouard Louis a généré énormément de questions sur les limites et les implications de l’autofiction en littérature et, plus largement, sur la volonté d’épuiser le réel par le biais d’une démarche d’écriture de soi. Le roman est publié en janvier 2016, soit quatre ans après les évènements relatés et seulement deux jours avant l'arrestation de Reda – identifié par la police comme Riadh B. – liée à la plainte qu’Édouard Louis a déposée en 2014. À la suite de cela, le présumé agresseur a été détenu de façon préventive pour une période de onze mois.

Cet objet-texte, qu’Édouard Louis présente comme un roman au sein duquel «il n’y a pas une ligne de fiction», prend une tout autre dimension, car il s’impose comme «vérité» dans un contexte judiciaire où toute déclaration publique est passible de lourdes conséquences pour les personnes impliquées. À cet effet, lorsque l'affaire est menée devant les tribunaux, l’avocate de Riadh B. dépose le roman d’Édouard Louis au dossier en tant que pièce à conviction dans le but de confronter l’écrivain aux contradictions entre la version des faits donnée aux policiers et celle décrite dans le livre.

C’est donc le brouillage entre la fiction et la non-fiction, ainsi que l’ambiguïté du statut accordé à un récit qui s’affiche comme réalité dans l’espace public, tout en conservant le qualificatif de «roman» qui permet de s’interroger sur les répercussions de l’écriture de soi comme technique d’épuisement du réel.

 

Relation au projet

D’une part, l’œuvre d’Édouard Louis s’inscrit nécessairement dans l’imaginaire de l’épuisement en raison de sa nature autofictionnelle. Effectivement, le pacte de lecture poreux qui caractérise l’autofiction découle d’une démarche d’écriture de soi qui investit des éléments réels dans un dispositif fictionnel, brouillant de ce fait les frontières entre la réalité et la fiction. La mise en récit d’évènements passés correspond à un effort d’épuisement du réel, dans la mesure où le récit se charge de rendre compte de la vérité du sujet écrivant. Ainsi, de façon à tendre vers un portrait vraisemblable du réel, le texte doit se soumettre à un exercice exhaustif de reconstitution. À noter que l’adéquation faite entre l’écrivain, le narrateur et le personnage principal, au cœur des autofictions, participe à un mouvement d’archivage de soi sur la page, d’une volonté de se saisir du réel et de le raconter.

Le cas d’Histoire de la violence est particulièrement lié au projet Archiver le présent en raison du contexte qui accompagne la publication de l’objet-texte. En effet, alors que l’autofiction ouvre d’ores et déjà la discussion sur l’épuisement du réel que représente une mise en récit de soi, le roman d’Édouard Louis pousse le phénomène plus loin alors que l’écrivain qualifie en entrevue son œuvre d’objet de vérité, de compte rendu de la réalité. Le roman a la prétention d’incarner le réel, le vrai.

D’autre part, le dispositif littéraire mis à profit dans Histoire de la violence mène à un épuisement du lectorat. Il faut savoir que le texte – dans sa mécanique – tente de rendre compte de la difficulté du discours, alors que celui-ci est modifié, tronqué par l’énonciateur puis éventuellement rapporté et travesti par ceux qui le reçoivent. Il s’installe ainsi dans le discours un flou indélogeable dans la recherche du tangible.

Le récit d’Édouard Louis se déploie en effet par le biais du personnage de sa sœur qui raconte à son mari ce qu’Édouard lui aurait rapporté avoir vécu le soir de Noël de l’an 2014. On a donc affaire à une reconstitution de l’histoire d’Édouard narrée par sa sœur alors que celui-ci l’écoute derrière une porte tout en commentant la forme qu’elle propose des évènements. À noter que le personnage de la sœur – même si elle existe réellement – correspond dans le corps du livre à un simple dispositif littéraire permettant au récit de se faire. Cela dit, alors que la vérité du texte – attestée comme vérité objective par l’écrivain – est prise en charge par une multiplicité de voix qui s'entremêlent et qu’elle est considérée comme pièce à conviction dans l’espace public et judiciaire, le lecteur ne peut qu’être confronté à son incapacité à accéder à l’entièreté du tableau.

 

Bibliographie

Louis, Édouard (2016). Histoire de la violence: roman [Monographie]. Paris: Éditions du Seuil.

Pour citer: 

Brunet-Jacques, Frédérik (2022). Histoire de la violence [Entrée de carnet]. Dans Bertrand Gervais (dir.) et Vincent Lavoie (dir.), Explorations en culture numérique. archiverlepresent.org. https://archiverlepresent.org/entree-de-carnet/histoire-de-la-violence.

Auteur·e·s (Encodage): 
Brunet-Jacques, Frédérik